Du temps ordinaire
Assemblée de Betzatha Juin 2025
Fini le temps pascal ! La Pentecôte est passée et nous voilà revenus dans le temps ordinaire, pour un bon moment : jusqu’à l’Avent. En attendant ? Ben c’est le temps ordinaire… Y a quelques fêtes par-ci par-là le dimanche, le 15 août, mais c’est un temps normal, banal. À une époque comme la nôtre qui cultive le sensationnel en permanence, c’est pas mal de se rendre compte qu’il existe un temps « ordinaire ». Parce que dans notre vie spirituelle, y a pas que de l’extraordinaire. En fait, il y a plutôt de la banalité. Ou mieux, comme dirait Ste Thérèse de l’Enfant Jésus : « j’ai choisi l’amour du Seigneur, dans chaque chose ordinaire, alors je mettrai tant de cœur à les faire, que je les rendrai extraordinaires ». Mais il s’agit d’abord de voir que c’est ordinaire. Ma vie de tous les jours elle n’est pas « whaou !!! » Elle est… elle est, et c’est déjà pas mal !
1. La vie à Nazareth
Je voudrais d’abord nous rappeler que Dieu a vécu cette vie ordinaire. Dans son incarnation, le Fils éternel a vécu ces jours « normaux », ces jours où il ne se passe rien de dingue, si ce n’est notre usant quotidien. Ces jours où l’on ne sait pas trop quoi raconter à ceux qui partagent votre vie, parce que c’est assez similaire à la veille. Y a que les enfants, qui ont encore peu de jours derrière eux, et pour qui tout est nouveau, qui ont plein de choses à raconter.
Jésus a donc connu le rythme de se lever, de travailler et de se reposer, et de recommencer sans cesse. Et c’est même d’ailleurs l’essentiel de sa vie dans la chair. À peu près trois ans de prédication pour environ une trentaine d’années de vie ici-bas : ça fait 90,90 % de sa vie qu’il passe à Nazareth dans une vie « normale », « banale », « inaperçue », bref, la nôtre quoi. Il a connu dans sa chair le temps qui passe, qui use, et qui repasse, et qui re-use, comme le rabot sur le bois qu’il façonnait chaque jour.
2. Le sens du temps dans le plan de Dieu
Le temps dans la Bible, il a un sens et une finalité. Il sert à quelque chose. Déjà c’est une création de Dieu. Le Créateur, lui, est esprit et il est éternel, donc il n’est pas localisé en un lieu et il n’a ni commencement ni fin, donc pas de temps. Sa première création, avant la mer, les étoiles, et tutti quanti, c’est le temps et l’espace, sans temps et espace, il n’y a pas le monde. Et ces deux-là sont les premières créatures, distinctes de Dieu. Et il place les vivants dans ces deux dimensions : le temps et l’espace. Et le temps a un commencement et une fin. Son commencement est en Dieu, c’est Dieu qui a créé le temps, et sa fin ? Dans le mille ! Dieu aussi. Dans le livre de l’Apocalypse, Jésus se présente comme « l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. » Vous vous souvenez peut-être de ce que le prêtre en dit en signant d’une croix les chiffres de l’année gravés sur le cierge pascal pendant la Vigile : « Le Christ, hier et aujourd’hui, commencement et fin de toutes choses, Alpha et Oméga, à lui, le temps, et l’éternité, à lui, la gloire et la puissance pour les siècles sans fin. Amen »
Donc le temps dans la Bible, c’est le moyen dont Dieu se sert pour que cette création existe : sorte de lui, et retourne à lui. Le monde entier est une sortie de Dieu et un retour à lui, et entre les deux, il y a le temps qui commence et qui finit. Le temps ce serait un peu comme un élastique que l’on tend qui revient au même lieu. Il sort de l’éternité et il y retourne.
3. Habiter le temps : spiritualité de la fidélité quotidienne
Si le temps est une créature, nous devons, comme toutes les autres créatures, en prendre soin, nous devons l’aménager, nous devons l’habiter. Il est un instrument essentiel de notre salut, et nous devons le chérir. Il y a une expression que l’on ne peut trouver dans la bouche d’un chrétien : « tuer le temps », « je fais ça pour tuer le temps », « j’ai du temps à tuer ». Le temps ça ne se tue pas, ça s’habite. Chaque minute donnée par Dieu compte et a de la valeur, autant que chaque étoile ou chaque mouche qui vole. Tout cela est bon a dit Dieu, tout !
Mais comment habiter le temps ? Pour comprendre cela, l’analogie, la comparaison avec l’espace nous aide. Prenons une maison par exemple : chaque pièce a une utilisation propre. D’ailleurs, plus vous avez les moyens, plus les pièces deviennent spécifiques. Si la même pièce fait salon, cuisine, salle à manger, chambre à coucher, c’est que c’est un peu difficile à la fin du mois, mais si vous avez une pièce qui s’appelle juste « l’entrée », c’est que ça va !
À chaque pièce une utilité. Il en va de même dans le temps. Nous avons des périodes et des fêtes, des rythmes, des saisons. Et remarquez que dès la Genèse, Dieu nous explique pourquoi il crée les étoiles : pour nous donner un calendrier : Gn 1.14 : « Et Dieu dit : “Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit ; qu’ils servent de signes pour marquer les fêtes, les jours et les années…” » Les étoiles servent donc à faire un calendrier, donc à marquer le temps, et ce calendrier n’a pas d’autre finalité que de nous fixer des rendez-vous avec Dieu !
Donc le temps est d’abord une occasion de rendez-vous avec le Seigneur. Nous l’organisons pour lui donner du sens. Le dimanche n’est pas un jour comme les autres, comme la cuisine est un lieu particulier. Je ne fais pas la cuisine dans la chambre, et je ne travaille pas le dimanche ! Des temps et des lieux distincts. Les fêtes nous permettent donc d’habiter le temps. C’est pour cela, que l’on ne peut pas faire la fête tout le temps. Sinon l’extraordinaire devient ordinaire et n’est plus extraordinaire. Si je sors tous les vendredis, ce n’est plus la fête, je n’ai pas de raison de faire la fête.
Si on le façonne, le temps nous façonne en retour. Les minutes, les heures, les jours, les années qui passent, nous transforment et nous bonifient, comme un bon vin. Enfin, tout du moins si nous collaborons à cette œuvre sans trop nous rebeller. Ce n’est pas exactement le temps lui-même qui nous façonne, mais c’est l’opportunité du choix. La caractéristique du temps c’est qu’il est une succession, une chose après l’autre.
Et ce passage d’une chose à une autre, est pour nous l’espace du choix. Comme lorsque l’on marche, chaque pas détermine la suite de la route, et c’est bien à chaque pas que notre voie se décide. Le temps est pour nous l’occasion du choix : pour ou contre Dieu. Les anges font ce choix en un instant : veux-tu servir oui ou non ? et la réponse en fait un serviteur ou un démon. Nous ce sont tous nos choix qui décident de cela, les uns à la suite des autres. Certains nous égarent, d’autres corrigent notre route. Et tout cela se déroule dans la longue fresque de notre vie qui s’écoule, jour après jour. Il est donc bon que le temps passe et qu’il passe dans l’ordinaire du quotidien.
Dieu se rend présent de manière plus intense dans les fêtes, les rendez-vous qu’il nous donne. Mais il est aussi dans notre vie banale, comme à Nazareth, une présence plus discrète, moins perceptible, qui suscite peut-être plus notre foi. Et cela est une chance, car c’est notre foi qui donne l’occasion à Dieu d’agir.
Nous allons avoir sous les yeux le Saint Sacrement exposé. C’est une présence d’éternité qui s’offre à nous. Le Christ est dans la gloire éternelle et il se rend présent dans ce sacrement. Nous qui sommes encore dans le temps, nous allons avoir devant nous l’éternité. Alors profitons-en pour réorienter notre vie, notre temps vers cette éternité. Demandons la grâce à Jésus Sauveur que chacun de nos pas, chacun de nos choix nous conduise jusqu’à lui et à lui seul.