Avance ! Va dans la profondeur
Betzatha 11/08/22
C’était un matin en Galilée, alors que la foule s’amassait pour l’écouter, Jésus voit sur le bord du lac, cette petite mer, deux barques. Il y monte et demande que l’on s’éloigne du bord. Et les propriétaires obéissent, surement par politesse, sans trop comprendre la raison de tout cela. Puis ce rabbi continue d’enseigner cette foule venue l’écouter. Et finalement, il dit aux pécheurs : « Avance en eaux profondes, et lâchez vos filets ». Jésus demande à ceux qui deviendront ses disciples d’aller, et même de retourner plus loin dans la mer. Et c’est sur cet ordre de Jésus que je vous propose de méditer ensemble ce soir.
Comme souvent, essayons de mieux comprendre les termes que nous employons dans nos traductions en français pour saisir un sens qui peut être nous échappe à une lecture trop rapide. Ce que nous traduisons par « avance » signifie en grec « retourner » ou « pousser au large de la rive », c’est l’action de pousser avec son pied le bateau de la rive pour l’en éloigner. Donc l’idée c’est de s’éloigner du rivage. Jusque-là on comprend à peu près, on est dans une barque proche du bord, et Jésus demande de s’en éloigner. Mais pour aller où, c’est là que ça corse…C’est un petit mot de cinq lettres que nous traduisons souvent par « eaux profondes » ou « large ». Jésus ne spécifie pas qu’il parle des eaux du lac à ce moment. On peut aisément le conclure, compte tenu du contexte, il est dans une barque…et le verbe que nous venons de voir a un sens maritime…Mais cet ordre va dépasser largement la technique de pêche ! De quelle profondeur parle le Christ ? (notez que c’est un singulier).
Ce même mot se retrouve chez Matthieu (ch.13) et Marc (ch.4) mais dans une parabole. Celle du semeur, et il sert à décrire le lieu rocheux où tombe le grain. Il ne peut pousser, parce qu’il n’y avait pas asses de « profondeur » de terre. Nous voici avec un sérieux indice…
Le mot qui nous intéresse ici ne veut donc pas directement signifier plus loin…C’est souvent la première idée que nous avons. Jésus nous dit d’aller plus loin, hors de nos frontières, aux périphéries, là où personne ne va. Evidement que ce n’est pas faux, et que cela est contenu dans le sens. Mais je vous invite à remarquer que le Seigneur ne fait pas tellement référence à une distance. Il s’agit d’aller surtout là où il y a plus de fond, là où l’on est moins à l’étroit. Et vous voulez que je vous dise, ce n’est pas très loin cet endroit : c’est en nous ! Cette profondeur on peut la trouver, et il faut la trouver, en soi-même.
Car nous avons en nous, plus que nous. Nous en avons en nous Dieu qui réside ! Et le Seigneur nous dit : « descend un peu dans les profondeurs de ton cœur : j’y suis. Quitte les courants qui bougent et te ballotent, va dans les courants profonds qui eux, bougent beaucoup moins et restent stables. » C’est une invitation à aller découvrir les profondeurs de votre vie intérieure. Nous vivons tous à l’extérieur de nous-même, ou au mieux à la surface. Et c’est normal dans un sens. Tous nos sens et notre intelligence sont attirés par ce qui bouge hors de nous. Mais le Seigneur nous dit : « Si tu me cherche, si tu veux voir se multiplier ta pêche, va dans la profondeur de te cœur. » Parce que ce que nous cherchons, c’est lui en nous. Ne nous trompons pas, il ne s’agit pas de faire seulement une introspection, une nombriloscopie. Ça c’est rester à la surface. C’est se rabâcher ses problèmes. Il faut aller plus bas, parce qu’aller plus bas, c’est aller plus haut ! Je m’explique (projection de l’image).
 Le verset que nous étudions traduit en latin donne un sens très intéressant... « Avance dans la profondeur » devient « duc in altum ». Et ce mot « altum » désigne à la fois le très profond et le très haut. Il y a deux réalités qui peuvent être désignées comme « altum » ce sont le ciel et la mer ! Ainsi, plus je vais dans les profondeurs de moi-même, plus je m’élève. C’est le sens de ces lettres qui donnent l’impression de se détacher du fond pour monter en l’air.
Et la raison fondamentale de cela, c’est que ce n’est pas moi que je trouve en moi…Je trouve celui qui m’est plus intime à moi-même que moi-même, comme dit S. Augustin. Car comprendre l’œuvre faite à son image, c’est comme regarder dans un miroir et mirer celui qui c’est placé face à lui.
« La profondeur du cœur de l'homme, vous ne la découvrirez pas ; les raisonnements de son esprit, vous ne les saisirez pas. Comment donc pourrez-vous sonder le Dieu qui a fait tout cela, comprendre sa pensée et reconnaître son projet ? Non, frères, n'irritez pas le Seigneur notre Dieu ! » (Jd 8.14)
La grande Judith fait un parallèle entre l’esprit de l’homme et celui de Dieu. Ne pas être capable de saisir la profondeur de l’esprit de l’homme, c’est ne pas être capable de saisir celle de Dieu.
« O abîme (Ω βάθος[1]) de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! » (Rom. 11:33 )
Mais pourquoi cette image de profondeur ? (C’est sous-entendu, mais cette « intériorité » ne désigne pas véritablement un lieu précis) Parce que c’est ce qui échappe à nos regards. Lorsque vous regarder un trou profond, vous n’en voyait pas le fond, à vous demander même s’il y a un fond dans ce puits. Aller en soi, c’est voir que nous avons un espace infinie.
Alors vous comprenez bien, qu’en réalité, il ne s’agit pas vraiment de lieu. Ce n’est pas par une technique de respiration yogi, ou un point d’énergie…Il s’agit en réalité de se rendre présent à une présence. C’est cela « aller dans les profondeurs de son cœur ». C’est comprendre que mon être est plus que seulement ce que j’en perçois. Comprendre que je ne vis que parce qu’il est avec moi. Et alors comment faire ?
La tradition chrétienne possède un outil extraordinaire, ça s’appelle l’oraison ! C’est une prière silencieuse et personnelle. Ce temps de cœur à cœur est primordial. Nous avons besoin de temps de louange enflammés, où nous magnifions les merveilles de Dieu, oui ! Et nous avons tout autant besoin de silence. « Le silence est l’espace dont l’esprit a besoin pour déployer ses ailes » dit Antoine de Saint Exupéry.
Ce silence il nous permet de retrouver celui en qui tout se résout. Descendre dans la profondeur, faire cette rencontre en nous de celui qui y demeure, c’est vraiment quitter l’agitation de la surface. Ce n’est pas la nier, ou faire comme si l’agitation n’existait pas. Mais c’est percevoir tout cela selon le regard de Dieu. C’est comprendre l’épaisseur du monde, et c’est surtout retrouver espérance et charité, quand justement les courants de surface font balloter la barque.
Quand trop de questions assaillent, quand la multitude des soucis nous envahit, il existe bien une présence, un lieu : les profondeurs, où Dieu se tient et il veut nous dire que tout va bien aller, parce que tout, absolument tout, est dans sa main.
Et le verbe qui suit, qui indique ce que l’on doit faire une fois arriver dans les profondeurs, c’est « lâcher » son filet. Lâché tout ce qui retient…pour attraper ! C’est vraiment cette idée d’ouvrir la main et de laisser tomber, ou laisser aller, en latin c’est « laxate », pas besoin d’expliquer quel mot cela à donner en français…Aller là où Dieu est, lâcher ce qui nous encombre pour recevoir ce que Dieu donne…en abondance ‼
C’est peut être ça que dit Jésus à Pierre : « Comprend Pierre, qu’il y a en toi un monde, qu’il y a en toi plus que le monde, il y a en toi celui qui l’a créé et que veut le sauver. » Il existe des personnes qui n’ont jamais fait l’expérience de cette rencontre, qui n’est pas forcément sensorielle ! Ce n’est pas ce que je ressens qui compte en premier dans l’oraison, c’est d’être présent ! Notre vie intérieure, et toute notre vie, prend un tout autre virage quand on expérimente cela.
C’est cela le grand secret de la paix. Nous avons trop l’habitude de vivre à la surface, et nous pensons que les troubles des courants, sont des mouvements de fond…au contraire ces mouvements nous permette de redescendre dans les profondeurs ! Tout cela nous rappelle que nous devons vivre unis à lui. C’est dans l’oraison que je m’uni à la volonté divine, et c’est cette union qui donne lieu à la Paix !
Mais la paix nous en reparlerons, au prochain épisode !
[1] C’est le mot grec que nous suivons depuis le début, qui ici est traduit par « abîme », mais qui signifie tout autant « profondeur ».
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