Voici la nuit
« Voici la nuit qui aujourd’hui et dans tout l’univers, arrache au monde aveuglé par le péché ceux qui ont mis leur foi dans le Christ, nuit qui nous rend à la grâce et nous ouvre à la communion des saints. Voici la nuit où le Christ brisant les liens de la mort, s’est relevé victorieux des enfers. Car il ne nous servirait à rien de naître si nous n’avions pas le bonheur d’être sauvé ».
C’est le chant de l’Exultet qui a ouvert pour nous les portes de cette vigile sacrée, la célébration du mystère de la Sainte Nuit de Pâques. Ce chant élève la voix pour magnifier la nuit bénie où nous venons d’entrer, toute embrasée de lumière et d’espérance.
Bien des nuits l’annonçaient par préfiguration, car le Seigneur tisse ses merveilles à l’abri des regards, sous le voile sacré de l’obscurité. C’est dans la nuit que Adonaï Sabbaoth déploya sa puissance pour briser les chaînes de l’Égypte. C’est encore dans le silence nocturne qu’Il vint habiter notre chair, fragile et mortelle, en naissant d’une Vierge. Et c’est au cœur des ténèbres profondes que jaillit l’aube invincible : le Christ se relève d’entre les morts.
La nuit enveloppe le monde d’un linceul de mystère. Lorsque la lumière se retire, la vision vacille, le silence s’installe, et tout semble basculer dans un autre ordre. Le temps lui-même paraît suspendu, comme retenu dans un souffle. Dans cette indétermination, tout devient possible. Car lorsque l’agitation du jour s’éteint et que le repos restaure nos forces, l’âme s’ouvre à d’autres réalités, plus profondes, plus célestes. C’est alors, dans cet entre-deux secret, que le Seigneur accomplit ses merveilles : à l’heure où le monde sommeille, Dieu agit en silence.
Cette parure d’obscurité protège le secret de l’œuvre de Dieu. Nul regard humain n’a contemplé Jésus au moment même de sa résurrection. Nombreux furent ceux qui ont vu le Ressuscité, mais l’acte, lui, s’est accompli dans le silence absolu, à l’abri de tout regard, dans les ténèbres d’un tombeau scellé, en pleine nuit. Ce mystère échappe à l’homme, car il le dépasse infiniment. Qui peut dire comment le Christ a traversé les enfers et brisé leurs portes ? Nul ne le sait. De même, nul ne comprend comment il prit chair en Marie, Vierge et Mère. Si ces œuvres se déploient dans la nuit, c’est qu’elles touchent l’ineffable — un mystère plus grand encore que celui de la création, pourtant née dans la clarté du premier matin.
Et c’est au cœur même de ces ténèbres épaisses que le Seigneur fait resplendir sa lumière, celle que rend présent ce cierge pascal. Il restaure le jour là où nul éclat ne subsistait. Lumière au sein de la nuit — un renversement absolu, une subversion sacrée : la vie surgissant de la mort. Il fallait que cela advienne de nuit, car seule la nuit peut porter un mystère si grand.
Le monde nocturne est comme paralysé. C’est l’heure du repos, non celle de l’action humaine. Et c’est justement dans cette inactivité, dans ce retrait de notre volonté, que Dieu trouve l’espace pour agir librement. Certaines de ses œuvres se tissent en collaboration avec nous — mais pas celle-ci. La résurrection du Fils unique, arraché à la mort, est une œuvre purement divine. Elle ne requiert rien de l’homme, si ce n’est la chair que le Christ a assumée. Nous n’en sommes pas les artisans, mais les héritiers. Aussi, Dieu l’accomplit à l’heure où nul ne peut s’interposer, quand tout dort et que la création se tait. Lui seul agit, dans la pleine puissance de son amour. C’est pour cela que nous lui sommes si reconnaissant en cette sainte nuit !
Cette nuit engendre un jour nouveau, celui du salut. C’est une nouvelle vie qui est offerte au matin qui se lèvera demain. C’est au cœur de cette nuit que s’opère cette transformation : celle de nos cœurs rendus à la vie par Celui qui, vivant, est sorti du tombeau. Frères et sœurs, nous qui avons été baignés dans l’eau du baptême, unissons-nous dans la prière pour ceux qui, en cette nuit sainte, vont renaître de l’eau et de l’Esprit. Camille et Shandara vont marcher sur les traces du Christ, mort et ressuscité. Ce que Dieu accomplira en eux restera caché à nos yeux — car son œuvre s’épanouit dans le secret — mais ce que nous verrons, ce sont deux êtres renouvelles, deux Christs nouveaux, qui franchiront la porte de cette église, vainqueurs avec Lui, et nous avec eux.
Nous sommes résolument entrés dans ce mystère où les ténèbres étreignent la lumière, où la nuit se mêle au jour, où la mort et la vie s’entrelacent, où le silence de la tombe laisse échapper le cri de victoire.
Frères et sœurs, voici la nuit !