Fête de la translation des reliques de S. Dominique
Les yeux bien ouverts, attentifs, la tête droite, tournée vers celui qui lui parle, et un doux sourire illuminant sa face tout entière, voilà comment je me représente souvent Saint Dominique. Il devait avoir un visage accueillant, qui incitait à la confiance.
Il est un adage dans l’Ordre des Prêcheurs à propos de notre père : « Tout le monde l’aimait parce qu’il aimait tout le monde. » Ce n’est pas une citation directement tirée d’un texte canonique ou historique précis, mais plutôt une formule synthétique souvent utilisée dans la tradition dominicaine pour illustrer la bonté et la bienveillance de Dominique : sa charité universelle au service de sa prédication.
Nous connaissons tous des personnes qui ne semblent pas avoir d’ennemis, à propos de qui personne ne dit de mal, et qui n’en disent de personne. Le frère de tous, sans distinction. Nous connaissons aussi le profil inverse malheureusement, les ennemis de tous… mais S. Dominique avait cette faculté d’attirer la bienveillance et la charité de tous. Était-ce un simple trait de caractère ? Après tout, il existe bien des personnes naturellement aimables. Ou est-ce bien plutôt une vertu acquise ? Les fruits de l’œuvre de S. Dominique témoignent plutôt en faveur d’une vertu acquise, d’un choix résolu de sa part, surélevé par un don de la grâce.
Il ne s’agit nullement d’une sympathie de façade, mais bien plutôt d’un amour profond pour toutes les créatures du Bon Dieu. Tandis que saint François est souvent cité pour son amour envers les animaux et la nature, saint Dominique, lui, peut être donné en exemple pour l’universalité de sa charité envers ses semblables. Dominique aime, non par mollesse ou dépit, il aime profondément tout ce qui vient de Dieu et qui s’en retourne à lui. Il suscite en retour une sympathie profonde chez ceux à qui il s’adresse, qui ouvre les cœurs, et les dispose à recevoir sa prédication. Cet échange constant de charité dont il était le vecteur, le rendait capable d’aller vers ceux avec qui il était en profond désaccord, ou de rendre agréable la pénitence, et même les réprimandes et les sanctions (le rêve de tous pédagogues ou supérieurs). Cette charité s’exprime d’abord dans la qualité de ses relations, mais aussi dans sa prière d’intercession. Nous prions pour ce qui nous préoccupe, et c’est une preuve d’amour. S. Dominique intercédait pour tous, et notamment pour les plus grands pécheurs.
Le Père des Prêcheurs avait donc une attention particulière pour la qualité des relations qu’il entretenait, pas par calcul politique, mais bien par gratuité évangélique.
Or ce trait spécifique de sa sainteté est d’une actualité troublante, voire même a quelque chose de prophétique. Notre époque se caractérise par une perte de confiance dans toutes formes d’institutions. L’Église n’échappe pas à ce rejet. Pour faire entendre la voix de la prédication de l’Évangile, la seule institution ecclésiale n’est plus un gage de confiance et de vérité pour nos contemporains. En revanche, les relations interpersonnelles ont pris une importance accrue. Déjà Paul VI disait en 1975 : « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins. » La vie de S. Dominique est un exemple d’alliage de fermeté doctrinale et de douceur fraternelle. Il n’était pas complaisant avec le péché pour se faire aimer, mais parce qu’il était aimé, il faisait haïr le péché. Là où d’autres, revêtus des mêmes dignités et instruits tout comme lui, avaient échoué, Dominique prêchait d’abord par son visage, illuminé par son sourire, et par ses yeux grands ouverts et attentifs.
« Tout le monde l’aimait parce qu’il aimait tout le monde. »