Naître
Nuit de Noël 2023 Prêché à la cathédrale de Saint Denis
Il est né ! En cette sainte nuit de Noël le Fils de Dieu est né. Il n’a pas seulement pris chair, il est né d’une femme. Il a connu ce passage, cet acte si singulier de paraître au monde. Ce n’est pas le commencement de son existence, ni humaine et encore moins divine, mais il est né. Il est enfin visible par tous, et non plus uniquement conservé secrètement et tendrement dans le sein maternel.
Le Fils éternel est entré dans le temps, et il a commencé par cette première épreuve d’une vie ici-bas qui est la naissance. Nous n’avons aucun souvenir de cet instant, mais il est pourtant un des plus risqué de notre vie. Les progrès de la médecine ont considérablement amoindri les risques, mais ils n’en demeurent pas moins réels. Naître, c’est périlleux, et donc très mystérieux. Le verbe « naître » est toujours employé dans une forme passive : « il est né », ou « je suis né », montrant le caractère d’abandon et de passivité que contient la naissance. Personne n’a choisi de naître, cela nous a été donné, nous l’avons passivement vécue. Le Fils de Dieu a accepté cette passivité, que l’on pourrait presque qualifier de « passion ». A la différence de nous autre, cette passion, comme celle qui vivra plus tard, il l’a choisi, et il l’accepte. Dieu aurait pu sauver l’humanité et le monde autrement, qu’en naissant pour mourir, par cette double passion, mais c’est le moyen qu’il a choisi, par convenance.
En naissant, Dieu manifeste une dimension profonde de son être en trois personnes. C’est le Fils qui naît. C’est même le propre du Fils de naître, là où le Père engendre avec la Mère qui en plus accueil. Ce Fils qui naît en cette nuit selon la chair est déjà le fruit d’un engendrement éternel, puisqu’il est le Fils déjà au sein de la Trinité. Un engendrement, une naissance en Dieu lui-même. Nous le redisons avec insistance à chaque fois que nous recitons le credo : « Je crois en Jésus Christ son Fils Unique notre Seigneur, qui a été conçu du Saint Esprit né de la Vierge Marie, Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré non pas crée ». C’est la même Personne qui est engendré éternellement par le Père, et selon la chair en cette nuit, c’est le Fils Unique, le Christ Notre Seigneur.
C’est le même « par qui tout a été fait », « premier né de toutes créatures » , Sagesse éternelle que les cieux ne peuvent contenir, c’est lui-même qui vagi dans les langes. Lui qui n’est qu’esprit et qui a modelé la chair, notre chair, c’est lui-même fait chair afin de transformer notre chair par son esprit. Un peu comme un sculpteur rêverait de façonner son œuvre en entrant dedans, ou un peintre voudrait modifier les formes et les couleurs d’un tableau de l’intérieur, ou encore un romancier chercherait le moyen d’entrer dans son histoire pour être lui-même un des personnages.
Car cette naissance à une finalité. Comme toute vie commençante, elle tend à devenir. Un nourrisson regorge plus de potentialités que d’accomplissements. De même pour celui que nous célébrons en cette nuit. Le Fils est né « d’en-bas » afin que nous naissions « d’en-haut », pour reprendre une expression de Jésus à Nicodème dans l’Evangile selon S. Jean. Une naissance en appel une autre. « Maintenant que nous connaissons Dieu visiblement, nous sommes entrainés par lui à l’amour des choses invisibles », celles d’en haut. Le terme est on ne peu plus juste, nous le « connaissons » à présent, il est de même naissance que nous, littéralement c’est bien ce que signifie « connaître » (naître avec). Il s’est rendu visible, lui « l’image du Dieu invisible ».
Cette naissance selon la chair, nous rend possible une naissance selon l’Esprit. Ce même Jésus sera aussi appelé « premier né d’entre les morts », après sa résurrection. Chef de file d’une multitude qu’il entraîne à sa suite. Il est venu dans le temps, afin de devenir, car il n’y a que dans le temps que l’on devient, et il est devenu afin de nous faire advenir. En naissant dans le temps, Dieu a fait en sorte que nous puissions naître dans l’éternité. Il a fait de la naissance le moyen de passage, non plus seulement du monde douillé et liquide in utero à l’air libre, mais bien de ce monde fini et troublé par le péché, au ciel infini où le mal n’est plus.
Cette seconde naissance pour nous a eu lieu au baptême et dois se déployer tout au long de notre vie, dans un devenir. Un devenir qui se fait dans les troubles de cette vie. « Ainsi as-tu vaincu ta tempête, écrit Antoine de Saint Exupéry, et ta tempête est devenu repos, mais ton repos n'est que préparation de la tempête. Je te le dis : il n'est point d'amnistie divine qui t'épargne de devenir. Tu voudrais être : tu ne seras qu'en Dieu. Il te rentrera dans sa grange [dans sa crèche] quand tu seras lentement devenu et pétri de tes actes, car l'homme, vois-tu, est long à naître. »
Naître pour devenir, le Fils de Dieu est devenu fils des hommes pour nous faire fils de Dieu. Alors cette naissance que nous fêtons en cette sainte nuit est autant la sienne que la nôtre. Le ciel et la terre ne font plus qu’un, ils se connaissent, ils ont une naissance commune, en celui qui est à la fois du ciel et de la terre, l’un des nôtres et le tout-Autre.
Cette nativité nous entraîne vers une autre naissance, celle qui a déjà commencé en nous et qui ne s’achèvera que dans la gloire.
Alors, à nous tous, joyeuse nativité !
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