Jugement lumineux
Il doit être vu, ce Fils unique envoyé dans le monde, vu de tous afin d’être tous sauvés par lui. Si le Fils de l’homme a été élevé sur le bois, comme le serpent d’airain du temps de Moïse, c’est pour que tous en levant les yeux puissent les poser sur lui. La croix dressée nous fait lever la tête. Elle nous fait nous redresser pour la contempler. Regarder la croix, la fixer avec dévotion, c’est entrer dans ce salut que Dieu a voulu donner en envoyant ce Fils mort pour nous.
L’unique raison de cette offre de salut, Jésus nous le dit : c’est l’amour de Dieu pour le monde. Il l’a aimé au point de le créer. Il l’a tellement aimé au point de le sauver. Le salut est offert à tous par ce sacrifice de la croix et il est reçu (ou non) par chacun grâce à la foi. Voilà le jugement du monde, c’est-à-dire l’expression de la justice de Dieu : acceptons-nous, avec toutes ses conséquences, que le Fils de Dieu soit mort pour nous ? Le Fils est d’abord venu pour sauver. Le jugement n’est pas premier : Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » C’est-à-dire que Dieu propose d’abord la solution avant de pointer le problème. La solution, c’est le sacrifice de la croix. Face à cet acte nous sommes tous amenés à nous déterminer : croire ou ne pas croire. Et c’est cette détermination qui donne lieu au salut effectif pour chacun d’entre nous.
C’est tout le sens de la métaphore de la lumière qui suit. « Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Mais qu’est-ce donc que cette lumière si ce n’est le Fils lui-même, rappelez-vous en Jn 1. 9 ce que le même auteur nous dit : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. » La lumière est ce qui éclaire, rend manifeste, donne à voir une réalité. Le Verbe de Dieu se présente comme cette lumière qui montre, rend compréhensible toutes choses. La croix elle-même est la manifestation par excellence du sens de toutes choses : le don de sa vie, l’amour ! Ainsi nous sommes tous appelés à regarder notre propre vie dans cette lumière, celle du Bien, du Vrai, du Juste et du Beau !
Et l’inverse de cela ce sont les ténèbres. Les ténèbres voilent la lumière. Elles s’installent et s’épaississent lorsque l’on ne veut pas voir la lumière, la vérité. Après le premier péché, Adam et Eve, se découvrent nus et se couvrent, poussés par la honte. Voilà ce qui bien souvent nous éloigne de Dieu, la honte qui nous fait sombrer dans les ténèbres. Ce sentiment engendre parfois l’idée saugrenu que le Christ n’est pas mort pour moi, pour d’autres, peut-être, mais pas pour moi.
Profitons-en pour mettre fin à quelques idées qui peuvent flotter dans nos esprits. La lumière n’a pas besoin des ténèbres, le bien n’est pas en rapport d’équilibre avec le mal. Ecoutons encore le même S. Jean dans son prologue : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. » (Jn 1.4-5). La Lumière brille et se répand, comme celle du soleil. Les ténèbres, l’ombre, se font lorsque la lumière est arrêtée. Depuis que Dieu a fait resplendir sa lumière dans le chao de la Genèse, elle prime sur l’univers. Les ténèbres naissent d’une volonté réelle et libre de se soustraire à la lumière, autrement dit, de se cacher dans l’ombre, de ne pas vouloir lever la tête pour regarder la croix.
Cet acte puissant d’amour infinie, qu’est la croix, projette sur notre vie la lumière de l’amour. Aimer, c’est donner sa vie pour ceux que l’on aime. Cela devient la mesure de l’amour. Moins que cela ne serait donc pas de l’amour. Comment s’avoir si j’aime ? Suis-je prêt à mourir par amour ? Pas comme un troubadour chantant ses élans à la belle Dame, « belle marquise vos beaux yeux me font mourir d’amour » (peu, importe l’ordre des mots d’ailleurs), mais bien dans un don constant et renouvelé de ma personne a ceux qui m’ont été confiés et à qui j’ai été confié.
Les ténèbres n’ont pas arrêté la lumière, mais nous pouvons nous extraire de sa course, en restant caché dans l’ombre. Il y aurait donc des recoins sombres dans nos cœurs, des parts de nous-même qui ne veulent pas du salut offert sur la croix, des inclinations en nous qui voudraient que nous gardions la tête baissé, caché, loin de cette croix que nous sommes pourtant inviter à regarder. Cette élévation dont nous parle Jésus dans l’Evangile de ce jour, va se produire dans quelques instants, à deux reprises, sur cet autel. Le corps de Jésus, puis son précieux sang seront présentés à notre vénération. Tâchons de bien lever la tête, de regarder ce salut qui nous est offert, en demandant la grâce de l’accueillir dans la foi afin d’être effectivement sauvé.
Amen
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