La force d’aimer
Des faibles, rien de plus ! Ils camouflent leur lâcheté sous un faux prétexte d’amour du prochain…ridicule et vil.
Aimer ses ennemis, tendre l’autre joue, offrir son manteau, voilà qui semble aux yeux du monde la marque des vaincus, et non celle des conquérants. Mais que nous demande réellement le Christ ? Un maître digne de ce nom chercherait-il à humilier ses disciples ? Une telle attitude paraît bien peu efficace pour bâtir un Royaume. Et pourtant… nous voici, présents en cette église.
Sommes-nous donc si ridicules à suivre les préceptes du Christ ? Est-ce risible et absurde d’aimer ceux qui nous haïssent plutôt que de chercher à nous venger ? Même sans la foi, la réponse s’impose : la violence et la domination gouvernent le monde, mais personne ne les accepte ouvertement. Elles sont partout à l’œuvre, et nous les affrontons à chaque instant.
Cependant, la foi apporte une réponse bien plus profonde à la raison qui nous pousse à chercher à faire le bien, dans n’importe quelle circonstance. Dieu est le créateur de tous, aussi bien moi-même que ceux que j’aurais tendance à ne pas aimer. Il n’est pas le Père exclusif de ceux que j’aime spontanément. Là est la véritable question : nous aimons certains, nous en méprisons d’autres, sans toujours pouvoir expliquer pourquoi.
En revanche ce que nous commande le Christ (oui, c’est un impératif) ce n’est pas d’aimer nos ennemis d’un amour affectif. Le Christ ne s’attend pas à ce que nous devenions les meilleurs amis du monde avec ceux que nous haïssons, allant bras-dessus bras-dessous au marché forain, dans une amitié factice. Ce qu’il exige de nous, c’est un amour plus grand, plus exigeant : c’est d’aimer comme lui. Cet amour, que l’Écriture appelle la charité, ne se résume pas à donner une pièce à un mendiant. Il désigne avant tout l’amour que Dieu a pour lui-même, l’amour qu’il est en son essence, et celui qu’il porte à toute la création, et auquel il nous donne de participer.
C’est la raison pour laquelle cet amour peut être commandé : l’affection ne se commande pas, mais la charité se mendie, se reçoit de Dieu et s’exerce. Ce n’est pas seulement une question de volonté, mais elle joue un rôle essentiel dans l’acte de charité. Il nous est possible de résolument choisir de ne pas aimer nos ennemis, et de vouloir nous venger. Comme nous pouvons tout aussi bien choisir de faire ce que Jésus nous ordonne : prier pour eux. C’est l’une des recommandations du Christ. « Priez pour ceux qui vous calomnient », cette prière prépare notre cœur, le façonne, afin que nous soyons rendus capables de poser des actes concrets de charité. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la prière en premier lieu. Sans elle, nous risquons d’essayer de forcer une affection qui ne naît pas naturellement, ou pire de laisser libre cours à notre désaffection.
Il ne s’agit pas d’être hypocrite, mais d’aller encore plus en profondeur de la réalité. Aimer de charité, même ses ennemis, c’est accepter le renversement radical du monde qu’est venu instaurer le Christ, c’est œuvrer pour son Royaume. C’est placer sa confiance dans la toute-puissance du Maître du Ciel et de la Terre, plutôt que dans nos propres forces, aussi remarquables soient-elles, mais pourtant limitées. C’est voir plus loin que l’efficacité immédiate de nos actes. C’est distinguer déjà en ce monde l’empreinte du suivant. Mon ennemi finira comme moi, à quoi bon risquer mon éternité pour une querelle passagère ?
Ce n’est donc pas de la faiblesse, mais bien de la sagesse que nous demande Jésus. Il faut plus de vertu pour ne pas répondre à une agression que pour céder à des passions destructrices qui empoisonnent notre cœur. Ce n’est pas une retenue dictée par l’impuissance, incapable de répondre à l’agression, mais une maîtrise supérieure de soi, née d’un excès de vertu et de bonté. Et c’est cette bonté exercée qui nous rend semblables au Père, principe et fin de toutes choses. Que certains trouvent cela risible, qu’importe ! La vérité demeure, inébranlable. Dès ici-bas, nous récoltons déjà les fruits de nos actes.
Faibles, lâches, hypocrites, nous le sommes trop souvent. Mais demandons sans cesse la vertu de charité, afin que même nos actes les plus insignifiants témoignent de la puissance de Celui qui nous les ordonne.