Quel évangile avons-nous entendu à l’instant ? A cette question, beaucoup répondraient l’évangile du riche et du pauvre Lazare. Et c’est d’ailleurs le titre que donnent bien souvent nos bibles. En effet, la parabole de Jésus nous présente un homme riche qui a tout pour lui. Il est riche et bien entouré, alors que Lazare, sans argent, sans rien pour manger ni se vêtir attend tout seul sur le pas de la porte qu’on veuille bien lui donner quelque chose à manger. Une lecture rapide ou une écoute peu attentive nous font tirer une conclusion simple : le riche est mauvais et le pauvre est bon. Le riche a tout dans cette vie, mais le pauvre sera vengé dans l’éternité parce que les rôles seront inversés.
Je crois cependant que la parabole est bien plus profonde que cela et qu’elle a beaucoup plus à nous apprendre.
Au fond, le riche de la parabole n’est pas si riche que cela. Certes, il a tout ce qu’il lui faut et même en abondance. « Il se revêtait de pourpre et de lin fin et faisait chaque jour brillante chère. » Mais ce riche est bien pauvre. Il est bien pauvre et cache la misère de son cœur et la solitude profonde qui est la sienne en recherchant à s’enfuir dans les plaisirs. Il se cache à lui-même sa vraie identité. Il ne sait pas vraiment qui il est. Et qu’est-ce que ça change d’avoir tout quand on ne sait pas qui on est ? Parce que, voyez-vous, malgré sa richesse, le riche est bien seul. Les gens viennent chez lui à cause de ce qu’il leur donne, mais il n’a pas vraiment d’amis. Il est plongé dans sa solitude la plus profonde. Très entouré, il est seul. Il est seul parce qu’il ne sait pas qui il est. D’ailleurs, la parabole ne lui donne pas de nom. Celui qui n’a pas de nom est anonyme, il n’existe pas. On l’appelle « le riche ». Il n’est rien, malgré tout ce qu’il a. Il n’est pas défini par ce qu’il est mais par ce qu’il a.
Pauvre riche ! Très entouré, mais très seul. Très riche, mais très pauvre. Bien vêtu, mais vide à l’intérieur. La pauvreté de son cœur est aussi grande que la richesse de son compte en banque. Le problème du riche, ce n’est donc pas qu’il soit riche, mais c’est qu’il est pauvre à l’intérieur. Ce n’est pas qu’il y ait du monde chez lui, mais qu’il est incapable de nouer des liens de véritable amitié, de communion profonde. Son cœur est tellement petit qu’il est incapable de voir Lazare devant chez lui. Il ne l’aide pas, mais surtout, il ne le voit pas, aveuglé qu’il est par son incapacité à sortir de lui-même.
Lazare. Lazare c’est tout le contraire. Tout pense à croire qu’il est pauvre puisqu’il gît devant la porte, tout couvert d’ulcères. Tout pense à croire qu’il est misérable puisque personne ne prend la peine de le regarder et de lui dire bonjour. Mais pour Jésus qui raconte la parabole, ce n’est absolument pas le cas. Lazare est pauvre dans son corps, mais il est riche à l’intérieur. La preuve : il a un nom. Avoir un nom, c’est être connu. Le riche ne connaît pas ce nom. Il ne le lui a jamais demandé. Il ne s’en est jamais préoccupé. Mais Jésus connaît son nom. Il connaît son nom parce qu’il connaît qui il est à l’intérieur, qui il est vraiment. Le pauvre n’est pas anonyme, il est aimé pour ce qu’il est. Par-delà la misère de son aspect extérieur, Dieu a vu son cœur et il l’a aimé.
Le nom que Jésus lui donne n’est pas n’importe lequel. C’est le nom de son propre ami, de l’autre Lazare qui était le frère de Marthe et Marie Madeleine. Cet autre Lazare qui d’ailleurs est un homme riche. Le pauvre Lazare est par là désigné par Jésus lui-même comme son ami. Non pas parce qu’il serait pauvre, mais parce que Jésus connaît la richesse de son cœur. Il a lu dans son cœur et il l’a aimé.
Lazare est donc dans une pauvreté et une solitude habitées par la présence de Dieu. Et c’est là toute la différence avec le riche qui a décidé de fuir la solitude de son cœur dans le divertissement et qui s’est ainsi retrouvé incapable de communion. Incapable de communion avec son frère Lazare, mais également incapable de communion avec Dieu.
Voilà pourquoi Lazare se retrouve auprès de Dieu après sa mort alors que le riche est exclu du Royaume. La solitude de l’un était habitée par Dieu et l’a ainsi conduit à la communion éternelle avec Dieu. La solitude de l’autre n’était habitée par rien d’autre que du vent et l’a ainsi conduit à la solitude éternelle.
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » dit le livre de la Genèse. Non pas que la solitude soit une mauvaise chose. Elle est même le début de l’histoire de l’homme. Mais cette solitude doit mener à la communion. La solitude doit ouvrir le cœur à la présence de l’autre et à la présence de Dieu. Mais pour cela, il faut accepter de ne pas fuir cette solitude.
Il y a notre solitude que nous ne devons pas fuir, mais il y a aussi la solitude de celui qui est à côté de nous, sa souffrance qu’il faut accepter d’habiter par une communion fraternelle. Si nous ne sommes pas capables de laisser Dieu habiter notre solitude, alors comme le riche, nous serons également incapables de voir et de venir en aide à la solitude de l’autre.
Voilà pourquoi nous partons en pèlerinage à Lourdes. Beaucoup sont seuls. Seuls dans leur richesse ou seuls dans leur pauvreté. N’ayons pas peur de la solitude. N’ayons pas peur de ce que nous sommes parce que Dieu nous habite de sa lumineuse présence. N’ayons pas peur de la communion fraternelle à laquelle nous sommes appelés.
Profitons de ce pèlerinage qui commence pour rencontrer ce que nous sommes en toute vérité en nous laissant habiter par Dieu. Arrêtons de fuir ce Dieu qui nous aime et ouvrons nos yeux et nos cœurs à celui qui gît à côté de nous. Et alors, nous serons tous riches de la charité qui est l’unique et vrai trésor.
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