A l’âge de 9 ans, Jean fait un rêve qui le terrifie. Il se retrouve avec d’autres jeunes au milieu d’une cours de récréation où tout le monde se dispute et blasphème le nom de Dieu. Zélé pour Dieu, il se jette alors dans la mêlée pour faire taire les impies à coup de poings et de cris. Apparaît alors un homme resplendissant qu’il ne peut pas même regarder et qui lui indique une autre voie qui est celle de la douceur et de la charité et lui ordonne d’enseigner la vertu et l’horreur du vice à cette bande de vauriens. Terrifié par une mission qui le dépasse, l’enfant demande : « Qui êtes-vous qui m’ordonnez une chose impossible ? »
Nous connaissons peut-être la suite de l’histoire. Jean parlait avec le Christ lui-même et devenu grand, il deviendra Don Bosco, le saint qui a remis sur pied les enfants des rues de Turin au XIXème siècle en leur montrant le chemin du ciel non pas avec ses poings mais par la douceur et la confiance.
Cette expérience de Don Bosco de son incapacité et de l’impossibilité de remplir correctement la mission qui lui est confiée est une expérience fondamentale de la vie chrétienne. Pierre dans la barque est saisi d’effroi et dit au Seigneur : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » Isaïe dans le Temple devant les Séraphins qui chantent la gloire de Dieu n’est pas plus rassuré : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! »
C’est l’expérience que Dieu est grand et que du coup nous ne sommes vraiment pas dignes de demeurer en sa présence. Nous devons apprendre nous aussi à voir cela. Lorsque nous nous approchons de Dieu, il est bon de nous rappeler de qui nous sommes et de qui il est. Lorsque nous entrons dans le lieu saint de sa présence qu’est une église, nous devons nous rappeler que nous ne sommes pas n’importe où. C’est pour cela que nous mettons un genou à terre et que nous faisons silence. Pour nous rappeler de la grandeur de Dieu.
Mais plus encore, c’est le Temple de l’Esprit que nous sommes que nous devons traiter avec ce mêle respect. « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1Co 3, 16) Lorsque nous entrons en nous-même pour dialoguer avec nous-même. Lorsque nous laissons entrer quelqu’un dans notre intimité. Lorsque nous écoutons, lisons, regardons… Que faisons nous entrer dans le Temple de Dieu que nous sommes ? Là aussi nous devons nous arrêter et contempler cette merveille qui nous dépasse.
La première expérience, est donc celle de la présence du Très Haut qui nous remplit de crainte et nous pousse à nous émerveiller. Pour nous chrétiens, cette expérience est absolument inséparable d’une deuxième expérience qui est celle de l’amour de Dieu et d’une troisième qui est un envoi en mission.
Les lèvres impures d’Isaïe sont purifiées par la présence de Dieu qui à travers le Séraphin lui brûle les lèvres. « Ceci a touché tes lèvres, et maintenant ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. » ; « Sois sans crainte. » dit Jésus à Pierre qui se met aussitôt à tout laisser pour suivre le maître. Dieu, le Très-Haut, le redoutable se fait proche de l’homme et intervient dans sa vie. Dieu se mélange à l’homme. Ce qui est sacré et inaccessible se donne à nous pour que nous l’approchions sans crainte.
Et en cela Dieu n’est pas moins Dieu. Il n’est pas moins digne de gloire. Mais nous sommes alors rendus capable de Dieu ; capable d’accueillir cette présence qui pourtant nous dépasse. Dieu a touché le cœur de l’homme qui est devenu sacré. Nous sommes le Temple de l’Esprit. Non pas que nous le méritions, mais parce qu’il nous a appelé à le suivre et à vivre en sa présence. Loin de désacraliser Dieu, c’est l’homme qui devient lui-même sacré en étant purifié.
Nous pouvons donc entrer sans crainte dans l’église, non pas parce que le lieu de la présence de Dieu n’aurait aucune dignité, mais parce que nous sommes dignes d’y entrer. « A vrai dire, ce n’est pas moi, [dit saint Paul] c’est la grâce de Dieu avec moi. » (1Co 15)
De cette double expérience de la merveille de Dieu qui habite en nous en découle une troisième. « Me voici, envoie-moi ! » dit Isaïe. « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » dit Jésus à Pierre. L’ineffable fait sa demeure parmi nous, il nous purifie et nous envoi. Cette mission nous paraît impossible comme le dit le jeune Jean Bosco « Qui êtes-vous qui m’ordonnez une chose impossible ? » Cependant, lorsque nous prenons conscience que ce Dieu qui nous envoie agit à travers ce que nous sommes, à travers notre pauvreté et que nous acceptons qu’il purifie nos âmes par sa présence alors rien n’est plus impossible. Non pas à nous, mais à la grâce de Dieu avec nous.