Que tous soient un
C’est tout de même rassurant – et même gratifiant – d’entendre parler de nous dans l’Évangile. Dans son discours d’adieu, à la veille de sa Passion, Jésus dit qu’il ne prie pas seulement pour ceux qui sont là avec lui, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en lui. Il s’agit bien de nous tous, frères et sœurs — du moins si vous pensez avoir foi en Jésus !
Et l’objet de sa prière, son intention profonde : que nous soyons un. Jésus demande à son Père que nous soyons un, comme le Père et lui sont un. Ainsi, pour saisir ce que signifie cette unité, il nous faut d’abord contempler comment elle se vit en Dieu lui-même.
L’unité n’est ni une juxtaposition, ni une stricte uniformité — deux extrêmes à éviter.
La juxtaposition, c’est un simple assemblage de réalités qui n’ont pas de lien entre elles, mises ensemble pour des raisons pratiques. Comme des colocataires qui partagent un appartement uniquement pour diviser le loyer, sans vraie relation entre eux.
L’uniformité, à l’opposé, c’est la volonté de faire en sorte que tout le monde soit identique, sans tenir compte des spécificités de chacun. Or, en Dieu, le Père, le Fils et l’Esprit Saint ne sont pas juxtaposés, mais ils sont un seul être. Ils partagent la même nature divine. Le nom « Dieu », le titre « Seigneur », désignent les trois, et pourtant, chacun porte un nom propre, parce que chacun a une propriété personnelle. Le Père n’est pas le Fils, et réciproquement ; l’Esprit se distingue des deux. Le Père engendre, le Fils est engendré, et l’Esprit est l’engendrement même, la relation vivante. Il y a donc unité et distinction.
C’est ainsi que Jésus souhaite que nous soyons unis. Une communauté unie n’est pas une juxtaposition d’individus cherchant leur seul intérêt, mais une communion de personnes qui recherchent ensemble un bien commun, à travers les spécificités de chacun.
Nous avons des intelligences, des imaginaires, des volontés, des peurs, des rêves, des combats, des blessures très différentes, dans une même communauté — qu’elle soit familiale, ou religieuse. Mais nous pouvons avancer ensemble vers un bien qui soit partagé.
Cela signifie, frères et sœurs, que l’unité est d’abord une volonté, avant d’être une question d’affinités. Il n’est pas nécessaire d’avoir des affinités avec tous pour vivre la communion. Mais il est nécessaire de vraiment s’écouter.
La liturgie est une expérience simple et belle de cette communion. Une première forme de communion passe par les gestes communs. C’est la communion des rites : nous nous levons ensemble, nous nous asseyons ensemble. Ces gestes, à l’unisson, nous rassemblent.
Et que dire du chant ? Il est une manifestation sensible de la communion. Nous unissons nos voix sur les mêmes paroles, et l’harmonie — espérée ! — devient une réalité audible de l’unité. Par le chant, nous créons de l’unité.
Un dernier aspect, plus intérieur et intellectuel, se vit dans l’écoute de la Parole. Ce que vous êtes en train de faire maintenant — normalement ! — : écouter. La Parole proclamée, et son commentaire, créent une communion d’esprit. C’est d’ailleurs pourquoi, dans les monastères, on lit à table : non seulement pour éviter les bavardages, mais pour nourrir l’unité. Tous entendent les mêmes mots au même moment. Tous accueillent une même réalité dans l’esprit — et ainsi, une même pensée habite chacun. Il y a là une forme d’unité moins visible, mais non moins réelle.
Alors, frères et sœurs, ne perdons pas de vue que notre modèle d’unité n’est pas simplement une paix sociale ou une organisation efficace. C’est le mystère de la Trinité : un Dieu unique, en trois personnes distinctes et unies. C’est à cette unité que nous sommes appelés.
Ne baissons pas les bras devant les blessures de la division. Le chemin est étroit, la ligne de crête souvent difficile à discerner. Mais n’oublions jamais : le Christ prie pour cette unité. Et il prie encore aujourd’hui. Alors, unissons nos voix à la sienne :
Que tous soient un !