Je suis tombé sur une petite vidéo d’archive l’autre jour, où l’on voit un soldat de l’armée française en 1914, à qui l’on retire son béret de chasseur alpin et on lui tend un képi rouge. Il comprend de suite le message : il est mobilisé pour partir en première ligne dans les tranchés, et l’homme se lève instantanément et place ses mains tremblantes à côté de son visage, avec des yeux hagards et ne peut plus bouger…
Voilà ce que peut produire en nous la peur ! C’est ce sentiment, souvent avec des manifestations physiologiques, qui nous avertis d’un danger et qui nous fait nous en éloigner. Mais la peur peut aussi rapprocher, comme nous allons voir ensemble. Dans l’histoire sainte, la peur est très présente et elle a même des conséquences directes sur le salut.
On vous a déjà probablement déjà appris à distinguer entre différentes sortes de peur. D’ailleurs, pour clarifier tout cela, on utilise un vocabulaire différent pour chacune : on parle de « peur » pour une action mauvaise en nous, et de « crainte » pour son pendant bon. Dans la Bible, ce n’est pas le cas, ce sont les mêmes mots qui servent à décrire ce sentiment. Tâchons donc d’y voir plus clair.
Peur paralysante
Et commençons par le commencement, comme toujours, la première peur de l’histoire du monde, c’est évidemment Adam qui l’éprouve.
« Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu donc ? » Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. » (Gn 3.10)
Cette peur est le résultat du péché, avant cela, Adam n’a jamais eu peur. Et elle ne fait qu’éloigner la créature de son Créateur. Se cacher de Dieu (drôle de tentative tout de même, quand on sait aussi bien qu’Adam qui est Dieu…ce ne sont pas quelques arbres qui vont l’arrêter) c’est ne plus vouloir être en relation avec lui. Evidemment, c’est le remord et la tentative de dissimulation qui motive cela (c’est le moment de commencer un examen de conscience en parallèle dans un coin de sa tête).
C’est intéressant, parce que la première fois que Dieu répond à cette peur d’Adam, c’est à Abraham qu’il s’adresse :
« La parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision : « Ne crains pas, Abram ! Je suis un bouclier pour toi. Ta récompense sera très grande. » (Gn 15.1)
La parole rassurante est adressée à celui qui sera le père de la première alliance.
Cette peur paralysante, elle court dans toute l’Ecriture, jusqu’à entourer de près Jésus : peur des pharisiens, peur des disciples à la Passion, peur des femmes au matin de la résurrection (cf. Mc 12.12).
Cette peur n’est pas au service de notre salut, mais le ralentit, voir même peu l’altérer. Je peux avoir peur du salut de Dieu, peur de ce que ça implique, de ce que ça me demande. Peur simplement du fait que ça ne vient pas de moi, que je ne sais pas ce que c’est que d’être sauvé, c’est inconnu. Et c’est bien connu, c’est quand c’est inconnu, que ça fait peur ! Cette peur-là, elle me paralyse, et le Mauvais aime jouer avec. Soit il nous séduit, soit il nous terrorise, dans les deux cas le Malin nous asservis. On peut garder sous son pouvoir quelqu’un en lui faisant peur. Cette peur nous fait fuir le combat spirituel (et donc le perdre) et elle vient miner notre confiance en la parole de Dieu.
La peur salutaire
Mais la peur peut produire autre chose en nous que la paralysie. Elle peut aussi susciter de l’action. Elle apparaît, nous l’avons vu, face à l’inconnu. Or, le Dieu de la révélation chrétienne, se donne en partie à connaître certes, mais se caractérise comme le Dieu de « l’évènement ». Dieu fait des choses inattendues, qui bouleversent les lois de la nature et nos petits plans. Dieu n’est pas juste un logiciel logique et rationnel qui agit toujours de la même manière. C’est une personne (et même trois !) qui agit selon son intelligence et sa volonté propre, et donc pas toujours de manière prévisible pour nous.
Ainsi la peur, va venir solliciter nos imaginations et ainsi nous pousser à la réflexion. Un peu comme un étudiant qui se mets à travailler comme un fou la veille d’un examen, c’est la peur qui le soutien.
Cette peur, au contraire de la précédente n’est pas inhibante, elle pousse à l’action et même démultiplie nos capacités. Dans notre vie spirituelle, c’est elle qui nous fait nous tourner vers Dieu.
« Mon Dieu, écoute ma prière, n'écarte pas ma demande. Exauce-moi, je t'en prie, réponds-moi ; inquiet, je me plains. Je suis troublé par les cris de l'ennemi et les injures des méchants ; ils me chargent de crimes, pleins de rage, ils m'accusent. Mon cœur se tord en moi, la peur de la mort tombe sur moi ; crainte et tremblement me pénètrent, un frisson me saisit. Alors, j'ai dit : « Qui me donnera des ailes de colombe ? » Je volerais en lieu sûr ; loin, très loin, je m'enfuirais pour chercher asile au désert. J'ai hâte d'avoir un abri contre ce grand vent de tempête !» (Ps 54.05)
Qui sinon Dieu, pourquoi le psalmiste dit ce qu’il dit, sinon parce qu’il espère de Dieu le secours ?
La crainte de Dieu
Cette nouvelle sorte de peur que nous venons d’identifier, s’apparente de beaucoup à ce que toute la tradition nomme « la crainte du Seigneur », qui est même un don de l’Esprit Saint. Depuis que Dieu s’adresse aux hommes, il invite à cette criante :
« Et maintenant, sais-tu, Israël, ce que le Seigneur ton Dieu te demande ? Craindre le Seigneur ton Dieu, suivre tous ses chemins, aimer le Seigneur ton Dieu, le servir de tout ton cœur et de toute ton âme. » (Dt 10.12)
Nous comprenons que ce n’est pas la peur qui éloigne ou qui rends esclave, au contraire cette crainte libère et même, elle rend intelligent :
« La crainte du Seigneur, voilà la Sagesse, s’éloigner du mal, voilà l’Intelligence. » (Job 28.28)
« Le savoir commence avec la crainte du Seigneur ! Sagesse et instruction, l’insensé les méprise. » (Pr 1.7)
Cette sagesse consiste à reconnaître que Dieu est Dieu ! Qu’il n’est pas comme nous, qu’il est tout-puissant. La crainte me fait comprendre quelque chose de la nature divine, qui me dépasse infiniment. Dieu c’est rendu proche de nous, mais ce n’est pas un pote. Il est plus intime à nous même que nous même, tout en étant le Créateur et sauveur du monde, ce qui m’invite tout de même à baisser la tête devant de puissance. Cette puissance ne m’écrase pas, elle me sauve, et ce salut n’est pas source de familiarité entre Dieu et moi.
La peur est une rencontre avec ce qui excède ma puissance :
« Ma chair tremble de peur devant toi : tes décisions m'inspirent la crainte. » (Ps 118.120)
Mais pourquoi cette crainte qu’accompagne même des tremblements ? Parce que lorsque l’on commence à comprendre qui est vraiment Dieu, sa réelle toute puissance, sa bonté infinie, sa miséricorde inépuisable, cela nous fait pressentir ce qu’il peut changer en nous. Et cela a de quoi nous inquiéter ! Cela nous fait vivre une sorte d’abandon de nous-même, de cette version actuelle de nous-même. La peur en devient donc une disposition affective à être transformé. C’est peut-être le sens d’ailleurs du tremblement. Il manifeste l’action du changement, une tension qui donne lieu à un bouleversement.
Dieu sauve de et par la peur
Ainsi, Dieu nous sauve de et par la peur ! Deux versets de psaumes mit en parallèle illustre à merveille cela :
« Sur Dieu, je prends appui : plus rien ne me fait peur ! * Que peuvent sur moi des humains ? (Ps 55.12)
« Des cieux, tu prononces le verdict ; la terre a peur et se tait » (Ps 75.9)
Le don du salut, ou même la présence du Sauveur apaise la peur :
« L’ange lui dit alors : « Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » (Lc 1.30)
« Il n’y a pas de peur dans l'amour ; au contraire, l'amour parfait chasse la peur, car la peur implique une punition. Celui qui éprouve de la peur n'est pas parfait dans l'amour. » (1 Jean 4:18)
La peur dépassée, exprime l’arrivé du salut. Elle n’est pas pour toujours la peur, même dans ce qu’elle a de bon, elle n’est que pour un temps, pour ce temps, de l’attente et de la recherche de Dieu.
« N’aie pas peur, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le royaume. » (Luc 12:32)
Dieu nous donne de temps en temps cette grâce sensible, de dépasser nos peurs, face à des évènements. Et ici-bas, ce dépassement de nos peurs ne pourra se faire qu’à travers la crainte du Seigneur. Ce n’est pas pour rien que cette crainte est un don de l’Esprit. Ces dons sont nécessaires à notre salut, et il nous apporte quelque chose que de nous-même nous ne serions pas en mesure de faire. L’Esprit agit directement par ses dons. L’Esprit nous donne ainsi d’avoir peur de Dieu dans le juste sens que cela implique, peur pour nous tourner vers lui, peur afin d’être disposé à recevoir de sa part se profond changement en nous qu’est le salut. Être sauvé, c’est être différent, profondément différent. Paradoxalement, nous y aspirons, nous voulons le salut, tout en ne voulant rien changer…Secrètement, on voudrait être sauver sans conversion, par peur des changements qu’implique la conversion. Et en même temps ce sentiment de peur nous permet de reconnaître et d’accueillir ce don surnaturel qu’est le salut !
Je voudrai juste terminer en refaisant un lien avec Adam. Le premier homme se cache au milieu des arbres par mauvaise peur du Créateur. Et le Sauveur rachète la faute qui a suscité la peur d’Adam en mourant sur du bois, un arbre coupé. Comme si Dieu avait pris notre peur, nous en avait débarrassé, l’avait coupé, pour sans servir pour nous sauver, en avait donc changé la fin, au lieu de nous éloigner de lui, de nous cacher à ses yeux (comme les arbres d’Eden), la peur devient ce qui nous attire à lui (« quand j’aurai été élevé de terre j’attirerai tout à moi »)
Alors que cette œuvre se produise en nous !
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