Créer de l’harmonie
J’ai un souvenir très précis de la première fois que l’on m’a fait chanter en polyphonie. J’étais en sixième et je me suis porté volontaire pour la petite chorale du collège. On nous a séparé en petits groupes et nous avons appris un chant - la berceuse cosaque. Je trouvais le chant beau, mélodieux, et même facile à apprendre. C’était ce genre de mélodie tellement bien écrites et instinctives que vous avez parfois l’impression de l’avoir toujours connu, tellement elle vous vient vite sur les lèvres. Puis tous les groupes ont été rassemblés dans une pièce et nous avons chanté ce que chacun avait appris dans son coin. Et là…stupeur…alors que chaque groupe chante des notes différentes, l’ensemble sonne à merveille, et même mieux que lorsque nous chantions uniquement notre partie. Je me souviens même de la joie éprouvée en mon âme et en mon corps. J’ai fait l’expérience, à cet instant, de quelque chose de plus grand qu’une émotion. C’est déjà pas mal une émotion, mais il me semble que la musique peut donner accès à bien plus que cela.
La musique est la manifestation la plus flagrante de l’harmonie! Littéralement, ce mot grec signifie “faire bien aller ensemble”, ar- est un préfixe qui signifie “bien, bon” et “monos” c’est un, unifié. L'harmonia, c’est donc bien mettre ensemble. Et la musique est cet art qui vise à mettre ensemble différents sons et à les faire même consonner. D’une pluralité de fréquences on obtient un ensemble cohérent et non pas chaotique, c’est d’ailleurs la différence avec le bruit. La musique n’est pas du bruit, elle est de l’harmonie, et en ce sens elle est paradoxalement extrêmement proche du silence. Elle en découle et y retourne.
Et cette recherche d’harmonie fascine les êtres humains, et on pourrait presque dire depuis toujours. Des paléo-anthropologues se spécialisent maintenant dans la reconstitution d'instruments de musique préhistorique à partir de découvertes de résidus. Et Sainte Hildegarde de Bingen, une moniale du XII, musicienne elle aussi, disait que le chant était la seule chose que nous ayons gardé du paradis perdu des origines. Et on serait tenté de se demander si ce n’est pas ce qui nous permettra d’atteindre la Terre Promise, le paradis futur.
La musique dispose tout particulièrement nos cœurs à la prière. Lorsque ce qu’elle cherche à dire c’est le plus grand des mystères, lorsqu’elle devient “sacrée”, cette harmonie nous rend presque présent celui qui est l’Harmonie même, celui qui en est l’auteur, et dont l’être même n’est qu’harmonieux. Elle est ce vecteur incroyable qui permet d’unir notre esprit et notre corps, tout en nous unissant à d’autres. Chanter ou jouer d’un instrument de musique, nécessite que nous mobilisons tout notre être dans toutes ses dimensions, spirituelles, psychiques et physiques, et en plus, puisqu’il est question d’harmonie, la présence de d’autres que moi-même est nécessaire, et même est magnifié par la musique! Nous sommes donc unifiés en nous-même (corps, âme, esprit) et unie à tous ceux qui chantent ou joue avec nous. Cela, frères et soeurs, ça n'est ni plus ni moins que le plan de Dieu pour l’humanité, que nous lui soyons uni et de ce fait uni entre nous tous. La musique, et plus spécifiquement la musique sacrée, sert éminemment ce dessein divin pour toute l’humanité.
Mais il arrive que certains dissonent. Tolkien, un grand chrétien, dans le prologue du Silmarillion, ouvrage qui raconte la création de la Terre du Milieu, nous donne une très belle image de ce qu’est le mal. L’être premier donne à des ainurs, des sortes d’anges, des partitions et leurs demandent de jouer ce qu’ils ont chacun sous les yeux. Puis, il les amènent dans le néant, il rejouent leurs partitions et le monde apparaît devant eux, et chacun reconnaît dans cette création en cours de réalisation sa propre partie, l’un c’est l’eau, l’autre le vent, un autres les étoiles,...belle allégorie de l’harmonie du monde rendu par la musique, la Symphonie du Nouveau de Dvorak joue sur le même registre. Mais, Melkor, un de ces ainurs, ne veut pas jouer la partition qu'il a reçue. Il veut jouer ce qu’il veut. Seulement ce n’est pas du tout en harmonie avec les autres, il crée du désordre. Il en suffit d’un qui chante faux dans un chœur pour que l’harmonie soit corrompue. Ainsi en va-t-il avec le mal dans le monde.
Alors que cette unité préserve la diversité, ce n’est pas une uniformité. Chacun produit le son qui est le sien, mais pour que le son que l’on produise soit juste il faut qu’il consonne !
Alors, réunis en ce jour autour de la Sainte Patronne des musiciens et des chanteurs, rendons grâce à Dieu de nous avoir donné la capacité de le louer et de dire ses merveilles par la musique et le chant. Et demandons-lui de toujours nous assister dans cette œuvre qui est la nôtre, afin qu’elle soit un vivant reflet de sa splendeur éternelle.
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