« Les nouveaux colons »
L’Évangile nous fait voyager aujourd’hui à Capharnaüm, ville de la Galilée, dans le nord d’Israël, tout près du lac de Tibériade. Jésus, qui n’a pas de maison à lui, séjourne souvent chez l’apôtre Pierre.
C’est le jour du sabbat. Jésus se rend à la synagogue. Les Juifs justes qui connaissent la Loi peuvent y prendre la parole pour commenter en araméen le texte hébreu de l’Ancien Testament, en particulier les prophètes.
Jésus n’est pas un rabbin ; il n’a pas suivi la formation pour le devenir qui exige des années d’étude. Il n’a pas été ordonné rabbin par l’imposition des mains du collège des rabbins. Jésus ne porte pas non plus la longue tunique des rabbins.
Le voilà qui parle avec autorité : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jn 7, 46). Quand il parle, Jésus fait et il fait grandir ceux qui l’écoutent avec foi. Le mot autorité vient du latin « augere », « faire grandir ». Prophète, le plus grand des prophètes, Jésus non seulement révèle la volonté de Dieu mais il l’accomplit à travers des miracles qui sont des signes de la présence aimante de Dieu : les malades sont guéris ; les esprits tourmentés par le diable en sont libérés. Jésus rend libre. Lui, le Saint de Dieu, remplit d’amour divin les corps et les âmes.
L’histoire du monde converge vers Jésus. En lui se trouve la clé du mystère de Dieu et du sens de l’existence humaine. Maître de la création et de l’histoire, Jésus enseigne, oriente et il sauve. Les esprits diaboliques le reconnaissent et ils le fuient.
Saint Marc a construit son évangile autour de la question capitale : « Qui est cet homme, Jésus ? ».
Qui est Jésus pour moi ? Saint Marc nous aide à trouver la réponse juste en donnant la parole aux différents témoins de la vie de Jésus : la création, les malades, les possédés, les pécheurs et même aux païens comme le centurion romain qui s’est exclamé sur le Calvaire, devant Jésus qui transmet son dernier souffle avant de mourir sur la croix : « Vraiment cet homme était fils de Dieu ! » (Mc 15, 39).
Nous voici devant Jésus. Qu’attendons-nous de lui ? Qu’attend-il de nous ?
Malheur à nous si nous le regardons comme des spectateurs sceptiques, méfiants, arrogants, assoiffés de nouveautés et consommateurs d’émotions sans fin. Malheur à nous si nous mettons Dieu à l’épreuve en disant : « Où est Dieu ? Est-il vraiment au milieu de nous ? ».
Heureux sommes-nous si Jésus devient notre maître, notre force et notre soutien, notre sauveur du mal et de la mort.
La finale de l’Évangile de saint Matthieu nous dévoile la volonté de Jésus pour les apôtres et pour l’humanité. Il s’agit de devenir « disciple » et non spectateur curieux ; se laisser enseigner, façonner et conduire par la Parole de Dieu et par les sacrements : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 18-20).
Jésus nous aime, il nous appelle pour nous envoyer vers les autres, en quittant nos zones de confort. Le disciple du Seigneur Jésus vit de lui, avec lui et pour lui, au service de l’Église et de l’humanité.
L’art chrétien montre le diable avec des doigts crochus. Au lieu de se tourner vers Dieu, le diable se replie sur lui-même.
Dans sa lettre aux Corinthiens, saint Paul exhortait les chrétiens à se donner à Dieu sans partage. Le don à Dieu se déploie dans la charité ; il n’y a rien d’automatique. Célibataires ou mariés, tous les chrétiens sont appelés à devenir disciples et à se donner à Dieu. Sans la charité, le célibat peut tourner au repli sur soi et à l’amertume. Sans la charité, les relations amoureuses peuvent devenir « l’égoïsme à deux ». Mais par la foi, des couples et des familles prennent des risques pour servir les pauvres dans des pays étrangers. Qu’il est beau de constater l’engagement chrétien des jeunes mariés et des familles dans des pays comme Haïti.
Les Missions Étrangères de Paris, les MEP, organisent des séjours de volontariat en Asie. Les jeunes filles sont plus nombreuses et plus courageuses que les garçons à se lancer dans l’inconnu pour accomplir la volonté de Jésus ressuscité : « Allez ! ». Dans la vie religieuse, les sœurs arrivent souvent avant les frères dans les pays de mission.
Que proposons-nous aujourd’hui à la jeunesse ? Quels sont les idéaux, les modèles et les projets que nous offrons à ceux qui commencent à vivre ?
Nous constatons la dictature du relativisme. Nos nouvelles générations réunionnaises sont relativistes, façonnées par Internet, qui met tout sur le même plan. Sur Internet, il n’y a pas de vérité, uniquement des opinions.
Nous assistons à une nouvelle colonisation culturelle massive. Les nouveaux colons n’arrivent pas sur des bateaux. Ils rentrent dans nos maisons et surtout dans nos cerveaux et dans nos esprits à travers Internet. Ces nouveaux colons gèrent des multinationales financières. Ils développent le formatage des mentalités à travers des feuilletons télévisés et des réseaux sociaux.
L’esclavage est aussi pratiqué de manière subtile par le déversement de la pornographie, addiction qui ramollit les esprits, invasion ineffaçable de l’imaginaire par des images chocs, qui provoquent le mimétisme dans la soumission de la liberté personnelle aux modèles matérialistes.
Après la théologie de la libération en Amérique latine, une nouvelle approche théologique cherche la décolonisation. Il me semble que la décolonisation la plus importante concerne nos modèles médiatiques de consommation qui poussent toujours à prendre et à profiter, afin de vivre dans la plénitude de notre humanité par la foi en Jésus, « qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20), comme l’écrivait saint Paul, apôtre. Amen.
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