« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » La finale de la fable de Fable de La Fontaine, le Lion et le Rat pourrait tout aussi bien venir conclure l’évangile d’aujourd’hui. Les serviteurs sont bien impatients d’enlever cette ivraie qui vient polluer le champ de leur maître. Mais le maître lui sait attendre le bon moment pour retirer ce qui a été semé par l’ennemi.
Cette patience de Dieu qui attend pour extirper le mal au milieu de nous peut paraitre insupportable aux yeux de ceux qui sont trop pressés et trop impatient ; aux yeux de ceux qui voudraient que tout soit parfait. Un champ sans aucune mauvaise herbe, ou le blé est parfaitement aligné. Tel n’est pas le Royaume de Dieu visiblement. En tout cas sur cette terre.
Mais alors, pourquoi le maître laisse-t-il l’ivraie ? Devant l’échec apparent de l’action de Dieu, devant cette patience souvent insupportable, nous sommes tentés de penser que le maître n’enlève pas l’ivraie, que Dieu n’extirpe pas le mal, parce que de toute façon on ne peut rien contre. Il y en a trop, laissons donc !
Telle n’est pas la logique de la parabole ! Tel n’est pas son message ! Dieu retarde l’éradication totale du mal non pas parce que le mal est trop fort, mais pour préserver le bien. « Non, dit le maître, en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. » Ainsi, ce délai divin ne vient pas du fait que Dieu ne puisse rien contre l’ivraie, mais plutôt qu’on ne peut rien contre le fait que le bon grain pousse avec l’ivraie. Le plan de l’ennemi pour détruire le bon grain en semant de l’ivraie ne marchera pas. Telle est l’espérance chrétienne qui nous habite. Le maître laisse l’ivraie mais rien n’empêchera le bon grain de pousser.
Le bon grain sera ramassé et l’ivraie sera ôtée, mais il faut attendre encore un peu. Il faut attendre le temps de la moisson qui arrive à grands pas.
On pense là évidement à la fin des temps, lorsque les bons seront récompensés et que les mauvais seront mis en bottes pour être brûlés. Et il est bon qu’il y ait cette justice divine qui vienne récompenser les bons et punir les mauvais à la fin des temps. Alors patience. En son temps, Dieu remettra de l’ordre dans tout ça.
Cette espérance dans la justice divine au temps de la moisson ne doit pourtant pas nous faire oublier l’espérance dans la justice divine dès ici et maintenant. En effet, on a souvent tendance à accuser un ennemi du dehors d’avoir semé l’ivraie dans notre champ. On a tendance à accuser les autres d’être à l’origine de tous nos malheurs alors que c’est bien plutôt en nous que tout se joue. C’est dans notre cœur qu’il y a du bon grain et de l’ivraie. C’est dans notre cœur lui-même que se mélange ce grand désir de Dieu et se grand désir de faire le bien avec ce mal qui nous attire lui-aussi et qui défigure notre champ intérieur.
C’est finalement avec nous même plus qu’avec les méchants qu’il faut avoir de la patience et de la douceur afin de ne pas arracher le bon grain avec l’ivraie.
Certains vont se focaliser sur l’ivraie qui est en eux, sur tout ce qui n’est pas bon dans leur cœur. Ils ne voient que ce qui ne va pas. Ils veulent l’arracher à tout prix et risquent gros d’enlever aussi le bon grain qu’il y a en eux, incapable de voir ce que Dieu a semé de bon dans leur propre cœur. Il y a là un véritable manque d’espérance dans la puissance divine. Non pas qu’il faille accepter le mal. Le mal est inacceptable. Mais il faut accepter qu’il y ait le bien malgré le mal qui lui aussi prolifère. Elle est là l’espérance chrétienne sur nous même !
D’autres en revanche refusent de voir l’ivraie qui est en eux. Le mal n’est qu’à l’extérieur. Ce n’est jamais de leur faute, mais de celle des autres. Et ceux là n’attendent pas d’être sauvés puisqu’au fond ils n’en ont pas besoin. C’est comme si l’ivraie ne les concernait pas, comme si eux n’étaient que le bon grain alors qu’ils sont un champ avec du bon grain et de l’ivraie. Et là aussi il y a un grand déficit d’espérance !
A travers cette parabole, Jésus nous propose un chemin d’espérance. Le Royaume de Dieu est au milieu de nous. Il ne prend certes pas encore toute la place mais il est bien là et il grandit : il est comme le levain dans la pâte, comme le bon grain dans le champ, comme le grain de moutarde. Ce Royaume est déposé en nous et nous n’avons qu’à le laisser grandir patiemment jusqu’à ce que ses branches s’étalent, jusqu’à ce que le maître vienne enfin séparer pour le bon et le mauvais et nous libérer de cette ivraie envahissante qu’est le mal.
Et seul lui peut le faire. C’est Dieu qui dépose le bon qui est réellement en nous. C’est Dieu qui nous sauve en enlevant le mal qui nous ronge. C’est à nous d’espérer ce salut offert en laissant le Seigneur faire !
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ! » disait La Fontaine. On pourrait plutôt dire : Espérance et action de Dieu font plus qu’acharnement désespéré contre un mal qui est déjà vaincu par notre unique sauveur.
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