Salutation
« Salut, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi ». Des dizaines de fois par jour, nous avons pris l’habitude de redire et de méditer cette salutation de l’ange Gabriel à Marie. Ces mots annoncent l’aurore du salut, son commencement effectif, ses prémices les plus concrets en la Vierge elle-même.
L’ange vient annoncer à Marie le temps de l’accomplissement des promesses faites à nos pères, et il commence par une salutation. Le temps semble se figer, Marie converse avec l’éternité. Dieu s’est penché sur l’humilité de sa servante. Et cette humilité lui vaut d’être honorée par une créature qui lui est normalement supérieure. On n’avait jamais entendu dire qu’un ange se fût incliné devant une fille d’Éve. Les personnages de l’Ancien Testament qui ont bénéficié de telles apparitions mesuraient l’honneur qui leur était fait et agissaient en conséquence. À présent, l’archange Gabriel, grand messager des volontés divines, s’incline avec déférence devant la petite fille de Nazareth et la salue. C’est sûrement ce qui justifie le « bouleversement », le changement d’ordre, que la Vierge ressent.
J’ai d’ailleurs souvent eu du mal à m’imaginer la scène comme une lumière venant de la fenêtre et une voix sortie de nulle part s’adressant à Marie, d’autant que le texte prend la peine de préciser que l’ange « entra chez elle ». Plusieurs récits de l’Ancien Testament font état d’une apparition sous forme humaine de la part d’anges, pensons à Abraham sous le chêne de Mambré, ou à Tobie qui marche accompagné de l’archange Raphaël.
Pourquoi ne pas s’imaginer cette scène de l’annonce faite à Marie comme l’entrée d’un jeune homme dans la demeure, qui, en passant le seuil, salue la maîtresse des lieux en l’invitant à une joie immense ?
Toujours est-il, l’évangéliste met dans la bouche de l’archange un mot choisi et précis. Ce terme grec qui ouvre son discours est difficilement restituable en français par un seul mot. Puisqu’il contient à la fois la salutation et l’invitation à se réjouir. Il n’est employé que quatre fois dans l’Ancien Testament et toujours dans le contexte de l’annonce de la venue de Dieu parmi son peuple. C’est donc le terme par excellence de la joie messianique. Le mot français qui conviendrait le plus serait peut-être « salut », mais jugé quelque peu familier aujourd’hui. Ce serait « salut » mais dans son sens plein, dans son sens messianique et salvifique. Dans sa salutation, l’ange souhaite à Marie le meilleur possible : le Salut, (Jésus – Dieu sauve) dont l’ange vient annoncer l’engendrement. La fin de la phrase en est d’ailleurs un écho : « le Seigneur est avec toi », qu’est-ce donc que le salut si ce n’est d’être en présence du Seigneur ? Et y a-t-il de plus grande joie que celle-ci ? Autrefois, et encore dans quelques coins de la Gascogne, on se saluait en se souhaitant Dieu : Adiu ! « Le Seigneur soit avec toi » ou « va à Dieu ». Notre « bonjour » semble bien faible au regard du souhait du meilleur, du salut à nos frères. Il ne s’agit pas de passer simplement une bonne journée, mais de contempler Dieu tel qu’il est dans l’éternité, et ce après avoir été surélevé par sa grâce, autrement dit sauvé.
Si nos salutations, dans le choix des mots que nous avons faits, semblent avoir perdu cette dimension de souhait de Dieu à l’autre, peut-être est-ce à nous de le montrer d’une autre manière. Si une âme se lit sur un visage, une expression, une façon de tendre la main peut dire le salut offert par Dieu à l’autre. Et n’oublions pas que c’est à la seule salutation de Marie à sa cousine Élisabeth que Jean Baptiste a tressailli de joie dans les entrailles de sa mère. Alors, à notre tour, annonçons le salut, engendrons le Verbe dans les âmes et réveillons des prophètes.