Frères et sœurs, au risque de vous sembler bizarre, je vous invite à imaginer que vous êtes déjà après la messe… à penser à ce que vous serez dans environ une heure. Vous serez comme les disciples après la multiplication des pains. Le Seigneur vous aura rassasié de sa Parole et du Pain de vie. Il vous aura invité à le précéder de l’autre côté de la mer, en barque, vers vos Capharnaüm respectifs.
D’une certaine façon Jésus ne sera plus là : il sera resté seul à l’écart sur la montagne pour prier (la montagne symbolise le Ciel où Jésus nous précède) ; et il vous aura envoyés sur mer (la mer symbolise ce monde et ses luttes).
Si la mer de Galilée peut paraître moins intimidante que l’océan Indien, il reste que dans l’Évangile elle figure réellement un lieu de combat, de menace et même potentiellement de mort. Cette mer, Jésus l’avait traversée, seul, la veille, dans l’autre sens, en barque : encore une fois, elle symbolise ce monde, où uniquement Jésus peut avancer sereinement. D’ailleurs le fait qu’il traverse seul, puis le fait qu’il reste également seul de l’autre côté dans la montagne, signifie, à la fois qu’il domine la traversée vers l’au-delà de ce monde, et qu’il est familier de cette vie future figurée par la montagne où il prie.
Nous avons expérimenté, nous, le piémont de ce mont, le désert qui prépare à l’ascension. Au-delà de nos lieux de vie habituels, nous avons suivi Jésus en cet endroit désert, et nous avons éprouvé sa plénitude en écoutant sa Parole, en recevant le pain qu’il a multiplié pour nous rassasier.
Alors, oui, imaginons que ce rassasiement nous a vraiment comblés – Jésus est le Pain de vie – et supposons aussi qu’après la fin de cette messe dominicale sur le chemin du retour, dans nos barques, nous soyons confrontés à une mer agitée qui nous tourmente – n’est-ce pas souvent le cas quand nous retournons aux affaires du quotidien ? – au point que bien souvent nous oublions la plénitude en laquelle Jésus nous a fait communier. On retombe vite dans le banal, l’horizontal…
Comment retrouver l’enthousiasme de la présence de Jésus, le vertical du rassasiement d’en-haut, quand on se retrouve submergé par les vents contraires : le deuil, la maladie… ou simplement la routine d’une mer d’huile ?
Voyez le prophète Élie, de la première lecture, tout à fait déprimé parce que poursuivi à mort par la reine Jézabel, délaissé de tous, cherchant le réconfort de Dieu sur la montagne en Horeb. Une boussole intérieure le pousse vers la montagne de Dieu, l’Horeb. Là de grands signes surviennent, en-avant du Seigneur : ouragan, tremblement de terre, feu… mais Dieu n’est pas dans ces cataclysmes. Élie a la grâce de reconnaître Dieu dans le fin murmure d’un souffle léger. C’est pour lui un redépart.
Pour les disciples, dans l’Évangile, c’est moins évident : ils crient et gesticulent ; ils ne reconnaissent pas Jésus qui vient au cœur de la nuit. Ils le prennent pour un fantôme. La peur les submerge. Pourtant « Je suis » dit Jésus, ou « c’est moi » (en grec « ego eimi » signifie « c’est moi » ou plus littéralement « Je suis », faisant référence à ce nom sublime que Dieu révèle à Moïse dans l’épisode du buisson ardent : « Je-suis, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous ; c’est mon nom pour toujours »). On reprochera bien souvent à Jésus de s’accaparer ce Nom, ce titre divin « Je suis » qui signifie la solidité divine ; mais Jésus précisément manifeste qu’il n’est pas un usurpateur de la divinité quand il maîtrise la puissance de la mer.
Pour nous, plus définitivement que pour Elie ou les disciples, le Seigneur s’est manifesté, car par rapport à eux nous avons l’avantage d’être après Pâques : Jésus est ressuscité, pour nous il a vaincu la peur, le péché et la mort.
Dès lors, la vraie question qui se pose à moi, une fois revenus de la messe, après la multiplication des pains, c’est : ai-je réellement été nourri par la présence de Jésus ressuscité, au point d’être par lui transformé et fortifié ? Au point, quand je suis retourné chez moi, sur la mer, de pouvoir en quelques sortes marcher sur les eaux tumultueuses de ce monde ? Ma tentation, parce que hélas je ne suis pas meilleur que Pierre, c’est de « regarder le vent », au lieu que je devrais sans cesse regarder Jésus, je devrais me laisser appeler par lui, je devrais marcher dans la puissance de son appel et de sa résurrection.
Jésus est patient. Il faut parfois carrément couler pour crier vers lui : « Seigneur, sauve-moi ! » Et s’entendre dire : « Mini-croyant, pourquoi as-tu douté ? »
C’est dur. Mais prenons l’habitude, avant de couler, d’accueillir Jésus qui nous rejoint sur la mer. N’ayons pas peur de lui. Il est ressuscité et il n’est pas un fantôme : « Confiance, c’est moi [je suis] ! »
A chaque messe nous disons « Amen », en recevant la communion au Christ mort et ressuscité. « Amen » est un mot qui vient de l’hébreu et signifie la foi au sens d’un roc solide sur lequel je peux prendre appui. Alors, frères et sœurs, oui, prenons appui sur la vérité du Christ. Accueillons Jésus qui à la consécration nous dit « c’est moi », « je suis », « ceci est mon corps livré pour vous », « ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’alliance… ». Oui il est là, il est la vie, la résurrection. Répondons « amen » à Jésus. Dès à présent il nous assure la traversée, il est le Chemin, la Vérité et la Vie.
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