Et après Pentecôte ?
Pour l’Assemblé de prière Betzatha-9 Juin 2022
« Natura non facit saltum ». C’est un vieil adage qui signifie que la « nature ne fait pas de saut ». Darwin l’a fait sien. Cela signifierait que la nature évolue constamment sans à-coup, toujours de manière rectiligne et uniquement par de tout petits changement imperceptibles. Or, la biologie moderne nous explique que ce n’est pas tout à fait le cas. La nature semble bien pouvoir faire des sauts ! Elle peut faire des changements marquants et radicaux. En tout cas suffisamment pour qu’ils soient constatables (un organe qui apparaît d’une génération à l’autre par des signes visibles, un changement de comportements rapide…). Ces petits sauts induisent des changements.
Or la sur-nature, cette vie de la grâce que nous avons reçue et qui nous est propre, peut aussi faire des sauts ! Des grands sauts et des petits sauts.
Les grands sauts
Ce sont ces moments très marquant de notre vie spirituelle. Souvent c’est une conversion radicale, une rencontre spécifique avec le Christ, des épreuves particulières qui se sont révélées source de vie, un pèlerinage, une fête, un sacrement reçu (baptême, première communion, confirmation, mariage…). Ces moments font faire à notre vie spirituelle, à son évolution, de vrais sauts, et parfois même lui donne un nouveau souffle. Pensez par exemple à Saul, qui devient Paul. Sur le chemin de Damas, le bon Paul change radicalement. Et ce changement est tellement surprenant que l’on en entend parler trois fois dans le même livre (Ac 9 ; 22 ; 26) : une fois raconté par le narrateur, et deux autres fois par Paul lui-même. C’est donc un changement radical et remarquable.
Nous n’avons peut-être pas tous connu une telle transformation, aussi radicale, un si grand saut, mais j’espère que nous avons tous connu des moments plus prenants, plus intenses, des moments pendant lesquels notre âme a perçu plus distinctement son créateur. Ces moments où le voile de la foi s’est fait un peu moins opaque et que l’on a pu un peu mieux voir à travers. Ces moments où l’on a clairement perçues en nous des paroles comme celles que Dieu dit à Isaïe au chapitre 43 : « C’est moi, le Seigneur ton Dieu, qui saisis ta main droite, et qui te dis : Ne crains pas, moi, je viens à ton aide. »
Tous cela se sont des grands moments, des moments fondateurs, que l’on comprend parfois même après les avoir vécue. Ce sont nos annonciations à nous, à chacun de nous ; le moment où Dieu fait vraiment irruption dans nos vies, il n’est plus uniquement un concept, mais bien quelqu’un qui vit et agit, et veut mon bien.
Les petits sauts
Puis il y a des petits sauts. Ce sont d’autres rencontres que nous faisons avec Dieu, mais moins spectaculaires, moins impressionnantes, et pourtant tout aussi vraies. C’est une eucharistie à laquelle nous étions particulièrement présent, un moment de prière intense, un jeudi soir à Betzatha,…Ou par exemple la Pentecôte de cette année ! Ce sont des moments où Dieu est plus proche, parce qu’on le laisse plus faire. Parce que lui nous attends, il donne même des « rendez-vous ». Souvenez-vous en Gn 1. 14 « Dieu dit : qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour et la nuit : qu’ils servent de signes, tant pour les fêtes que pour les jours et les années : qu’ils soient des luminaires au firmament du ciel pour éclairer la terre ». Et même « rendez-vous » c’est le nom d’une tente qui suit le peuple dans le désert pendant tout le livre de l’Exode. Elle préfigure le Temple et marque la présence de Dieu au milieu de son peuple.
Bref, nous avions rendez-vous dimanche (comme tous les dimanches, d’ailleurs…). Un rendez-vous pour recevoir des grâces particulières, que Dieu ne donne qu’en ces jours de fêtes (sinon pourquoi faire une fête !).
Et entres les sauts ?
Bon…et maintenant ? Que se passe-t-il ? Nous voilà arrivé à la fin du temps pascal, c’est un retour à la normale ? Comme ce pauvre Pierre, en Jn 21, qui dit à plusieurs compagnons : « Je vais pêcher ». On aurait envie de lui répondre : « quoi ?! Mais ça ne va pas ?! Après tous ce que tu as vécus et vus, tu veux juste retourner à ta vie d’avant ? »
De même pour nous, attention de ne pas être comme ces enfants gâtés fous de joie lorsqu’ils reçoivent un cadeau tant désiré, et qu’ils finissent par ne même plus remarquer au bout de quelques semaines. Nous devons apprendre à intégrer à nos vies les dons reçus. Et pour ça, il existe quelque chose d’extraordinaire : c’est le temps ordinaire ! Le but de ce temps, c’est de nous laisser le temps de « digérer » ce que nous avons reçu. C’est un temps avec moins de fêtes, moins de grands évènements, qui laisse de la place à autre chose. Comme entre chaque réunion de Betzatha, vous ne pouvez pas uniquement vivre dans l’attente de la suivante. Déjà parce que ce temps de prière communautaire est une très bonne préparation pour la messe du dimanche ! Et puis parce que nous avons besoin d’une prière plus intérieure et personnelle. Sinon notre vie spirituelle aurait un encéphalogramme, pas en dents et scie, mais en piton/ravine de Mafate ! Des sommets et des trous immenses. Si ma vie de prière ne se résume qu’aux petits sauts que me fait faire ces soirées, je m’essouffle et je serai vite déçu, parce que je vais penser que la prière ça n’est que ces moments intenses. Et bien non…l’essentiel de la prière, c’est un cœur à cœur, une attention portée à Dieu, aidée, portée, et soutenue par ces moments plus intense. Mais c’est comme l’évolution des espèces, entre deux sauts de la nature, la nature continue de bouger. Elle continue d’évoluer !
Alors il nous faut assurer une continuité de la relation, que notre vie intérieure respire normalement, régulièrement et pas par à-coup. Sinon, comme un cœur, on se fatigue et s’épuise. Il nous faut régulièrement, chaque jour, prendre un temps, peut-être même essentiellement fait de silence, pour laisser à Dieu l’occasion de continuer ce qu’il inauguré lors de tout ce temps pascal, et spécialement lors de cette Pentecôte. Parce qu’entre chaque saut, il faut prendre sa respiration.
Il nous faut comprendre à présent comment nous pouvons mettre en pratique tous ces dons reçus. Le témoignage est un exemple. Je viens de recevoir un message d’un ami qui a accompagné un groupe de jeune au Frat’. Je voyais, ressentais dans ses lignes ce qu’ils avaient vécus (je pense que mes doigts devaient sentir le Saint Chrême, tellement s’était palpable). Autre exemple, le chant du Veni Creator, ou la séquence de Pentecôte (Veni Sancte Spiritus) ne sont pas réservés à ce jour de fête uniquement. On peut les prendre le matin, pour commencer sa journée en implorant l’inspiration divine en toutes choses. Il nous faut sans cesse demander les « sept dons de son amour ».
Vous savez, il y a bien une chose qui paie avec le Bon Dieu, c’est la fidélité. Dieu se manifeste dans des grands évènements, mais le plus souvent dans l’anodin. « Sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de la vie » (Ap 2.10). Mais pourquoi à votre avis ? Eh bien parce que lui il est fidèle ! Et sa fidélité est sans faille. Il nous demande la même chose, pour entrer dans une juste relation. Il nous faut parfois réajuster avec l’aide de sa grâce. Mais le temps ordinaire, le temps du quotidien usant et monotone, c’est là qu’elle se joue la fidélité. Les grâces reçues dans les grands et les petits « sauts » nous permettent de traverser ces moments, en même temps que ces moments nous permettent de les intégrer. Dans un monde qui offre en permanence des sollicitations et de l’excitation maximale nous sommes souvent appelé à l’extérieur, et nous voulons aussi du spectaculaire. Mais Dieu dit bien qu’il est discret. J’aime bien cette citation de S. François de Salles : « le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas bruit ».
Alors oui, la nature fait des sauts, la sur-nature aussi, mais pour les faire ces sauts, il faut les préparer et les intégrer. Alors prenons le temps de scruter notre cœurs pour y trouver ces dons reçus et veiller sur eux, faisons-les nôtres !
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