Sortis du Paradis
Exhortation donnée à l’assemblée de prière Betzatha le 17/03/22
Je vous propose en ce saint carême de nous replonger dans les origines du monde, ouvrons le livre de la Genèse si riche en enseignement.
« Adonaï Elohim planta un jardin en Eden, à l’orient, et y mit l’humain qu’il avait modelé […] Et Adonaï Elohim prit l’humain et le déposa dans le jardin d’Eden pour la travailler et la garder » (Gn 2.8-15)
Le jardin planté donné à l’homme
Le mot « gan » jardin, vient du verbe « ganan » qui signifie protéger. On imagine donc facilement un jardin clôt, lieu à l’abri, protégé de tous dangers et paisible. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si en grec il est traduit par « paradis », qui reprend un vient mot perse « pardes » qui désigne exactement un « jardin clôt et organisé ».
Adam est donc placé dans ce jardin pour en jouir et l’entretenir, pour y travailler, pour y continuer la création amorcée par Dieu. Fait surprennent : Dieu crée et donne à l’homme la faculté de retravailler ce que lui a déjà fait…d’y participer. Et il instaure de ce fait avec lui un partenariat. Il l’invite à entrer dans son projet, dont il fait déjà partie. Le verbe qui désigne le « travail » (‘avad) sert aussi pour dire le « service » et même le « culte ». Travailler la terre, continuer l’œuvre divine est pour l’homme aussi une manière de rendre un culte à Dieu, de le servir dans la justice.
Le précepte divin et le don des arbres
Et dans ce jardin, Dieu donne un précepte : « De tous les arbres du jardin, manger tu mangeras. Mais de l’arbre du connaître bien et mal tu n’en mangeras pas car au jour où tu en mangeras, mourir tu mourras. »[1] (Gn 2.16)
Dans cette parole Adonaï Elohim commence d’abord « par re-commander à l’humain la jouissance de tout ce qui est donné. Sur cet ordre positif pourtant sur le tout, vient se greffer un interdit concernant un arbre précis »[2]. Et la justification de cet interdit, c’est un risque de mort.
L’intention ambigu du précepte
D’ailleurs l’expression peut être comprise soit comme une menace, soit comme un avertissement, et Dieu n’explicite pas tellement son intention. Et du coup l’interprétation de l’ordre divin lui-même peut être ambigu :
- Soit Dieu veut conserver l’exclusivité de la connaissance du bien et du mal et notamment en ce qui concerne l’humain.
- Soit Dieu avertis l’humain, que s’il refuse cette limite cela lui coutera la vie. Et dans ce cas, à l’inverse de la première solution, où Dieu cherchait à garder son savoir, ici bien au contraire, il le partage.
La limite féconde
Dans ce précepte Dieu révèle à l’homme une réalité fondamentale de son dessein et du propos de sa création. En mettant une limite dans la jouissance de la création, Adonaï met en garde l’humain contre la convoitise. Cette convoitise nous fait céder à la tendance totalisante, d’un désir qui refuse les limites et les structures, qui permettent en fait la relation. La convoitise fait de la chose convoité un objet qui m’appartient et non plus un vis-à-vis. La convoitise refuse l’altérité et tend à tout réduire à ma mesure.
Une éducation divine
Et de ce fait, l’avertissement de Dieu nous met en garde d’un péril mortel. Dieu donne tous les arbres, et il nous éduque à bien les désirer, à les désirer en toute liberté, en limitant l’accès à un, nous faisant faire ainsi le deuil de la totalité, nous faisant acquiescer un manque. Et cet interdiction, cette limite, c’est cela la sagesse, c’est cela la connaissance du bien et du mal. Comme le dit Ben Sira « Le Seigneur a rempli les hommes d’intelligence, il leur a fait connaître le bien et le mal » (Si 17.7). Connaître le bien et le mal c’est donc ne pas toucher à cet arbre, de la connaissance du bien et du mal. Seulement le regarder, et le désirer.
La sagesse par défaut et la relation à l’arbre/Dieu
Il y a donc une part d’ignorance, parce que c’est une sagesse par défaut, c’est une sagesse par un manque. Et la seule chose qui comble ce manque, c’est la confiance ou la méfiance d’Adonaï. C’est donc le comportement de l’homme par rapport à l’arbre qui dira par la même son comportement par rapport à Dieu. Cet arbre de la connaissance du bien et du mal devient donc lieu de rencontre entre Dieu et l’Homme, lieu de test, lieu de vérification. Car la manière que le bénéficiaire du don a de réagir face au don dit quelque chose de sa relation au donateur. Cet arbre devient donc un « entre-deux » entre Dieu et l’Homme, lieu où les deux vont faire connaissance. Au passage, c’est le rôle que joueront les arbres dans toute l’Ecriture. Rappelez-vous, Dieu rencontre et « test » Abraham sous un chêne. De plus le test ultime que donne Dieu à l’humanité sera son Fils sur un arbre, et c’est un arbre qui est au centre la cité Sainte, la Jérusalem céleste : lieu de la rencontre entre Dieu et les Hommes !
Le serpent entre en scène
Dans ce tableau idyllique, mais non sans défis, un nouveau personnage fait son entrée : le serpent. D’ailleurs, il y a déjà un problème. Le texte dit bien que c’est un animal des champs, et même le plus rusé. Sauf que nous sommes dans un jardin…un animal des champs n’a rien à faire dans un jardin, il est normalement hors des murs du « paradis ». En entrant dans le jardin, le serpent perturbe déjà l’ordre établis par Dieu, donc sa part mal cette histoire…
Les paroles du serpent et la réponse d’Eve
Et il parle ce serpent. Il dit à Eve « Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? ». Ce qui n’est pas tout à fait faux, ni tout à fait vrai…Dieu a bien établis une limite, il y a bien un arbre dont on ne peut manger, et donc, Adam et Eve ne peuvent pas manger de tous les arbres. Sauf qu’il inverse la phrase d’Adonaï et il commence par cette restriction insistant donc sur elle. Dieu dit « vous mangerez de tous les arbres, sauf d’un » et le serpent « vous ne mangerez pas de tous les arbres ». Il insinue de manière très subtile le doute sur les intentions de Dieu. Nous avons vu que ce précepte pouvait être compris soit comme une volonté de garder un pouvoir, soit comme un moyen de partager une sagesse. Et bien le serpent donne à penser la première option : Dieu est mesquin et jaloux et il brime vos désirs. Le serpent va mettre en relief la frustration. Et Eve entre dans son jeu. Elle le rectifie certes, mais en déplaçant le lieu de l’arbre. Elle dit que cet arbre et au « centre du jardin », or ce n’est pas le cas, l’arbre au centre c’est celui de la vie. Cet arbre est devenu pour elle le centre de sa préoccupation, de sa convoitise.
Suscité la convoitise
Et c’est là tout le projet du serpent, suscité (par haine des hommes) la convoitise en eux. Et pour cela il inverse les perceptions, il produit du doute.
« Malheur ! Ils déclarent bien le mal et mal le bien, ils font de l’obscurité la lumière et de la lumière l’obscurité, ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer » (Is 5.20).
La convoitise c’est quand le désir (ni bon ni mauvais en soi) prend une mauvaise tournure, parce qu’il devient incapable de consentir à la limite, et donc à l’altérité.
Dieu volontairement mit hors-jeu
Avez-vous noté d’ailleurs un fait remarquable. A aucun moment on ne demande son avis à Dieu lui-même. Adonaï semble être un voisin très proche de ce jardin dans lequel il va et vient, il aurait donc été simple d’aller lui demander ce qu’il a dit. Au lieu de cela on préfère rester entres soi, et déformer ses Paroles de vie en paroles de mort…
Convoitise et vulnérabilité
Je passe quelques éléments du récit : les deux mangent de l’arbre, ils se découvrent nus, il se couvre de feuille de figuier, c’en est fini de la confiance. Ils n’ont mangé que le fruit de la convoitise et ils ont peur l’un de l’autre, ils cachent leurs faiblesses, de peur que l’autre n’en jout…
Le dialogue avec Dieu
Et Dieu refait son entré. La suite du récit et vu selon la perspective d’Adam et Eve : « Ils entendirent la voix d’Adonaï… » Et comme ils sont plein de convoitise, ils prennent toutes les questions divines avec un sous-entendu. A la question « où es-tu ? » l’homme avoue tout de suite sa faute, rongé de culpabilité, mais gorgé de convoitise, il accuse Dieu de sa situation : « C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre et j’ai mangé »[3]. Un peu gonflé tout de même…
Un jugement vrai et bon
En revanche Eve rétablis la vérité, elle dénonce la malversation du serpent. Elle reconnaît qu’il est menteur et séducteur, et de ce fait, qu’elle n’aurait pas dû l’écouter.
Et c’est après cet aveu, que Dieu va prononcer sa sentence. Parce que si le serpent est un menteur, alors Adonaï dit vrai ! Ces sentences ont un aspect positif pour les humains « c’est par où l’on a pêché que l’on est puni » (Sg 11.16).
Remettre une « limite »
Je passe sur les sentences de chacun des personnages, et m’intéresse à présent à la conséquence de tout cela. Adam et Eve sont chassés de ce jardin. Serait-ce une vengeance divine ? Pas tellement, compte tenu de la situation de l’homme, il lui est devenu impossible de rester dans ce jardin. De plus, on vient de voir les ravages de la convoitise. Et nous avions vu au début, que la limite est source de vie. Ce Dieu qui veut la vie s’empresse donc de mettre une nouvelle limite féconde. Puisque l’interdit et l’avertissement n’ont pas suffi, c’est une barrière matérielle qu’il met entre l’arbre et les humains. C’est une action juste et protectrice. Les humains ne sont pas prêt pour avoir accès à cet arbre, ils ne l’avaient pas compris, maintenant il faut mettre une barrière. Comme la clôture autour de la piscine évite aux enfants sans surveillance de se noyer…Il place deux chérubins aux épées enflammées pour garder l’arbre. « Garder » ne signifie pas « empêcher l’accès », mais plutôt s’assurer que ceux qui s’approchent peuvent le faire. Ainsi il nous faut trouver le chemin pour retourner à l’arbre. Et le reste du livre nous en donnera les bornes : la Loi, la Sagesse et surtout l’accomplissement de tout cela : le Christ, mort sur un arbre. Il a fallu que le Nouvel Adam étende sa main sur un arbre avec obéissance pour racheter le premier qui l’avait fait par désobéissance. Jésus nous montre la juste relation à l’arbre, la juste relation à Dieu.
Conclusion
Alors frères et sœurs, nous sommes sortis de ce jardin parce que nous n’avons pas voulu laisser Dieu nous donner ses bienfaits, nous avons voulu nous servir nous-même en nous méfiant. Le péché c’est bien un manque de confiance en Dieu, nous péchons parce que nous nous méfions de la Bonté infinie. Et ce carême et pour nous un temps de confiance, nous retournons vers le Seigneur. Nous faisons, par le jeune et l’aumône, l’expérience du manque, de la limite, qui nous fait entrer dans un face à face fécond. Nous nous préparons à nous approcher de l’Arbre de Vie planté sur le calvaire qui nous rétablis dans une juste relation à Dieu. Ainsi, au pied de cet Arbre nous recevrons de lui le vrai bonheur, la vie sans honte et sans douleur : Sa Vie !
[1] Traduction littérale que propose André Wénin.
[2] A. Wénin, D’Adam à Abraham ou les errances de l’humain, Cerf, Paris, 2007.
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