Sainte Marie-Madeleine, disciple-missionnaire de Jésus.
Homélie pour la messe votive du samedi 11 mars 2023.
Vénération des reliques de sainte Marie-Madeleine au monastère des moniales dominicaines de Saint-Denis de La Réunion (France).
Fr. Manuel Rivero O.P.
Introduction à la messe :
En ce jour où nous vénérons les reliques de sainte Marie-Madeleine arrivées de la Sainte-Baume, allons à son cœur pour regarder Jésus avec ses yeux et son cœur de disciple-missionnaire : cœur contemplatif assoiffé de l’enseignement du Maître, cœur purifié de sept démons, cœur généreux dans le service de la communauté apostolique, cœur fidèle sur le Calvaire, cœur en deuil près du tombeau, cœur brûlant dans le jardin de la Résurrection. Regardons Marie-Madeleine avec les yeux et le cœur de Jésus qui l’appelle par son prénom et l’envoie comme apôtre des apôtres : « Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17).
Homélie
Nous ne sommes pas sauvés par l’accomplissement de la Loi mais par la foi en Jésus. Marie-Madeleine a fait l’expérience en son corps et en son âme de ce salut. Aussi est-elle devenue témoin de la miséricorde divine.
La Famille dominicaine aime sainte Marie-Madeleine et plus particulièrement la Province dominicaine de Toulouse qui l’a pour patronne.
Dieu a appelé saint Dominique pour prêcher la grâce : « Predicátor grátiae », « prédicateur de la grâce », chantent les frères prêcheurs à l’office des Complies.
Je voudrais citer ici cinq grandes figures dominicaines qui nous aident à mieux comprendre, chacun selon son charisme, la vocation et la mission de sainte Marie-Madeleine : saint Thomas d’Aquin, le théologien ; Fr. Angelico, l’artiste ; le père Lacordaire, prédicateur à Notre-Dame de Paris ; le père Lataste, apôtre des prisons et le père Lagrange, exégète, fondateur de l’École pratique d’études bibliques de Jérusalem.
Saint Thomas d’Aquin (+1274) : « Nouvelle Ève » et « apôtres des apôtres ».
Le docteur Angélique présente sainte Marie-Madeleine comme la « nouvelle Ève » et « l’apôtre des apôtres ». Si, par son manque de foi, Ève avait été cause de malheur et de mort, sainte Marie-Madeleine a annoncé la bonne nouvelle de la Résurrection aux apôtres : « Il faut ici noter le triple privilège qui fut octroyé à Madeleine. D'abord un privilège prophétique, car elle a mérité de voir les anges ; le prophète, en effet, est l'intermédiaire entre les anges et le peuple. Ensuite, elle est au-dessus des anges, du fait qu'elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher. Enfin elle a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est devenue Apôtre des Apôtres en ceci qu'il lui fut confié d'annoncer aux disciples la Résurrection du Seigneur pour que, de même qu'une femme apporta au premier homme des paroles de mort, de même une femme annonce la première à des hommes les paroles de vie[1] ».
Les larmes de sainte Marie-Madeleine symbolisaient son amour de la vérité et elles ont lavé ses péchés[2]. Son amour ardent pour Jésus remplace le froid mortel du péché[3]. La miséricorde divine interdit à l’homme le désespoir[4].
Fra Angelico (1455).
Le patron des artistes apporte sa lumière non seulement dans les couleurs éclatantes de ses tableaux et de ses fresques mais aussi dans sa vision théologique. Homme de prière contemplative, Fra Angelico a peint la Vierge Marie sur le Calvaire soutenue par les bras de Marie-Madeleine qui à genoux l’étreint pour qu’elle demeure « debout près de la croix, seule au plus haut de la douleur » comme le chante le Stabat Mater.
Le père Henri-Dominique Lacordaire (+1861).
Le prédicateur de Notre-Dame de Paris a consacré un magnifique opuscule à sainte Marie-Madeleine, si aimée des Provençaux, à Saint-Maximin et à la Sainte-Baume. À ses yeux, Marie-Madeleine resplendit dans l’Évangile et dans l’Église comme l’amie de Jésus, citée la première parmi les femmes qui accompagnaient la communauté apostolique (cf. Lc 8, 1s) et parmi les femmes qui se sont rendues au tombeau le matin de Pâques : « Ressuscité le matin, le premier jour de la semaine, il apparut d’abord à Marie de Magdala » (Mc 16,9).
Celui qui a restauré l’Ordre des prêcheurs en France après la Révolution met en lumière la source de l’amitié qui a relié Jésus et Marie-Madeleine : « Fondée sur la beauté de l’âme, l’amitié naît dans des régions plus libres, plus pures et plus profondes que toute autre affection[5] ».
Jésus ressuscité et Marie de Magdala n’ont pas eu besoin de grands discours pour se comprendre. Jésus l’a appelée par son prénom et elle l’a reconnu comme son « Maître ». Et le père Lacordaire de commenter : « Plus les âmes s’aiment, plus leur langage est court » ; les amis représentent « deux existences libres de se séparer toujours et ne se séparant jamais » ; « C’est donc une rare et divine chose que l’amitié, le signe assuré d’une grande âme et la plus haute des récompenses visibles attachées à la vertu ».
Le bienheureux père Jean-Joseph Lataste (+1869).
Sainte Marie-Madeleine a joué un grand rôle dans la mission de l’apôtre des prisons. Ses prédications sont nées en embrassant les reliques de sainte Marie-Madeleine dans le couvent royal de Saint-Maximin (Var) : « Baisant cette tête autrefois avilie, aujourd’hui sacrée, je me disais : Il est donc vrai que les plus grands pécheurs, les plus grandes pécheresses ont en eux ce qui fait les plus grands saints ?[6] » ; « Pénitentes ou immaculées, Jésus ne pèse les âmes, quelles qu’elles soient, qu’au poids de leur amour[7] ».
Sainte Marie-Madeleine, témoin et prêcheresse de la divine miséricorde, a inspiré l’œuvre du père Lataste qui a réuni, de manière nouvelle et prophétique, dans la même congrégation religieuse des sœurs dominicaines de Béthanie, des femmes ferventes et des femmes condamnées par la justice. Il écrivait : « Je ne sais pas si là-haut, au grand jour des révélations dernières, nos yeux étonnés ne contempleront pas Madeleine, l’ancienne pécheresse occupant auprès du Sauveur une place au-dessus de toutes les autres femmes, la première femme après la Vierge immaculée[8] ».
Disciple-missionnaire de Jésus le Christ, l’exemple de Marie-Madeleine soutient aujourd’hui des personnes détenues ou en souffrance. Des aumôniers de prison l’invoquent à la suite du père Lataste dans leur ministère de la divine miséricorde. C’est l’une des caractéristiques originales de la vie dominicaine en France que de compter dans un grand nombre de couvents sur des frères aumôniers de prison inspirés par la sainteté de sainte Marie-Madeleine et du père Lataste.
Le père Lagrange (+1938), exégète.
Le père Marie-Joseph Lagrange O.P., fondateur de l’École biblique de Jérusalem, était aussi marquée par la figure de sainte Marie-Madeleine. C’est pourquoi il enfouit le 5 juin 1891 une médaille de cette sainte dans les fondations de l’École. Il voulut orienter ainsi le travail de l’exégèse biblique dans le sens de la contemplation et de l’apostolat pour le salut des âmes.
Dans son Journal spirituel, le père Lagrange cite à plusieurs reprises sainte Marie-Madeleine : « Permettez-moi, ô Jésus, de me tenir constamment au pied de la Croix avec votre Mère Immaculée, sainte Marie-Madeleine et saint Jean[9] » ; « me considérer auprès de mes frères comme sainte Marie-Madeleine aux pieds de Marie Immaculée[10] ».
Tout au long de sa vie dominicaine, le père Lagrange s’est évertué à défendre l’honneur de l’Église et à promouvoir la vérité évangélique qui rend libre.
Ses commentaires bibliques scientifiques ont toujours eu pour finalité le salut des âmes par la foi. Aussi achève-t-il son commentaire sur la femme pécheresse chez un Pharisien en le reliant au « mot qui vient sur les lèvres du prêtre après l’absolution sacramentelle[11] » : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix » (Lc 7,50).
[1] Saint Thomas d’Aquin, Commentaire à l’Évangile selon saint Jean, n° 2519, sur Jn 20, 17 : « Ut sicut mulier viro primo nuntiavit verba mortis, ita et mulier primo nuntiaret verba vitae ».
[2] Cf. Saint Thomas d’Aquin, Commentaire à l’Évangile selon saint Jean, n° 2493.
[3] Cf. Catena aurea, In Io. XX, 11-18. Saint Grégoire (homélie 25 sur l’Évangile).
[4] Catena aurea. In Io 20, 11-18. Commentaire de Bède.
[5] Henri Lacordaire, Sainte Marie-Madeleine, Grenoble, éditions Jérôme Million. 1998. P. 27.
[6] Monique Longueira, Prier 15 jours avec le père Jean-Joseph Lataste, dominicain, apôtre des prisons, Nouvelle Cité 2012. P.35. Sermon 95.
[7] Monique Longueira, Prier 15 jours avec le père Jean-Joseph Lataste, dominicain, apôtre des prisons, Nouvelle Cité 2012. P. 36. Les Réhabilitées.
[8] Monique Longueira, Prier 15 jours avec le père Jean-Joseph Lataste, dominicain, apôtre des prisons, Nouvelle Cité 2012. P. 42. Sermon 95.
[9] Marie-Joseph Lagrange, des frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932, Avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P., Paris, Cerf, 2014. P. 58. 7 mars 1880.
[10] Marie-Joseph Lagrange, des frères prêcheurs, Journal spirituel 1879-1932, Avant-propos de Fr. Manuel Rivero O.P., Paris, Cerf, 2014. P. 63. 3 avril 1880.
[11] Marie-Joseph Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, J. Gabalda, éditeur, 1927.P. 233.
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