Le corps révèle le mystère de Dieu créateur et aimant envers l’humanité.
L’amour de Dieu, Esprit invisible, se manifeste dans l’amour de l’homme et de la femme : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1,27).
Dieu qui est relation, relation trinitaire du Père et du Fils et de l’Esprit Saint, crée l’homme et la femme pour la relation à son image : égale dignité dans la différence et l’unité de l’amour réciproque.
« Dieu est amour » (1 Jn 4,16) et le couple « qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4,16). C’est dans l’amour à l’image de la Trinité que l’homme et la femme atteignent leur perfection humaine, l’un et l’autre, l’un par l’autre, l’un avec l’autre, ensemble. L’homme et la femme se complètent pour dire dans leur relation la relation de la sainte Trinité. À l’image de Dieu le Père qui se donne au Fils et du Fils qui se donne au Père dans la communion de l’Esprit Saint, Amour du Père et du Fils, l’homme et la femme se donnent et se reçoivent réciproquement jusqu’à ne faire « une seule chair » (Gn 2,24). Cette union sans confusion passe par un changement du lien aux parents qui demeurent aimés tout en laissant paraître la nouvelle création qu’est le couple : « L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn 2,24). La nouvelle réalité du couple exige séparation et renoncement par rapport à la présence des parents. La nouvelle création ne se fait pas par accumulation mais par séparation. Nous comprenons les épouses qui déclarent parfois avec regret : « Mon mari n’a jamais quitté sa mère ».
Tout comme Dieu, l’amour humain reste caché dans les cœurs de l’homme et de la femme. Ce Dieu caché (cf. Is 45,15) s’est manifesté et révélé dans la création et dans l’Incarnation du Fils de Dieu.
Dans le prologue du quatrième évangile, saint Jean affirme : « Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). L’homme et la femme font connaître leur amour caché dans le cœur à travers les gestes de tendresse, les paroles, les cadeaux, les services … D’où l’importance des réalités visibles et matérielles pour révéler l’amour qui vit dans l’esprit : la bague de fiançailles et de mariage, les bouquets de fleurs, les boîtes de chocolat, les paroles et les gestes d’amour … Ces dons manifestent le don de la personne qui aime à la personne aimée. « La Vie s’est manifestée » (1 Jn 1,2), écrit saint Jean. Le Fils de Dieu s’est manifesté physiquement à travers l’ouïe, la vision et le toucher.
Ces manifestations matérielles ou physiques appellent une parole d’interprétation à l’image des sacrements qui comportent une réalité matérielle comme le pain et le vin et qui sont accompagnés d’une parole performative qui explicite le sens de la matière du sacrement : l’eau pour le baptême, l’huile pour le saint chrême et l’onction des malades … Dans le sacrement de mariage, c’est le don réciproque des personnes, corps et âme, qui trouve son accomplissement dans les paroles de l’échange des consentements : « Je te reçois comme épouse/époux et je me donne à toi pour t’aimer fidèlement tout au long de notre vie ».
Les réalités matérielles et les gestes ne portent pas leur plénitude de sens en eux-mêmes. Il leur faut la parole créatrice et performative. La communication et l’engagement passent par des signes comme l’alliance : « Je te donne cette alliance, signe de notre amour et de notre fidélité. » (bénédiction des alliances).
Dans les Équipes Notre-Dame, le devoir de s’asseoir repose sur ce besoin d’expliciter dans le dialogue, fait d’écoute et de parole, la signification des comportements qui peuvent évoluer à travers l’intelligence de l’autre et le pardon si nécessaire. « Soyez exigeant, vous ne décevrez jamais », enseignait le père Henri Caffarel, fondateur des Équipes Notre-Dame. L’amour n’exclut pas l’intelligence, parfois atrophiée. Chesterton (+1936), écrivain britannique, catholique, déclarait avec humour : « Quand on entre dans une église, il nous est demandé d’enlever le chapeau, pas la tête ! ». Un ami à qui je présentais l’exercice du devoir de s’asseoir a apporté ce commentaire : « C’est comme une confession dans le couple ! ». Et j’ai ajouté : « Et ils se donnent l’absolution ! ».
Faute de parole vraie qui engage tout l’être, la bague en or, les bouquets de fleurs voire les baisers pourraient souffrir du doute, devenir un mensonge ou donner prise aux sarcasmes : les pigeons sont « bagués », les entreprises offrent des bouquets pour des raisons commerciales, les prostituées embrassent pour de l’argent.
« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14). Dieu aime le corps humain au point que le Fils de Dieu s’est fait chair. La chair humaine, bonne dès le début de la création, trouve sa plénitude dans la sainteté et la divinisation. C’est pourquoi plutôt que de parler du « péché de la chair » il faudrait évoquer « le péché contre la chair », cette chair humaine que le Fils de Dieu a uni à sa divinité en s’unissant « en quelque sorte » à tout homme (cf. Vatican II, Gaudium et spes n°22). Saint Paul parlera du péché « contre son propre corps » (I Cor 6, 18).
La sexualité n’est pas un but en soi, elle relève de la communication et de la communion entre l’homme et la femme. Dissociée de l’amour, la sexualité devient triste : « La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres », écrivait Stéphane Mallarmé (+ 1898) dans son poème « Brise marine ». L’orgasme, appelée « petite mort », est suivi de fatigue. Mais dans l’amour et la prière, l’union sexuelle représente une célébration joyeuse, spirituelle, une sorte de liturgie de la création accomplie par le couple comme un hymne à la gloire de Dieu. Acte d’adoration du Seigneur qui unit l’homme et la femme dans l’émerveillement et l’action de grâce.
L’union des corps ne va pas sans le mélange des esprits. Quand les corps se connectent dans l’union conjugale, ce sont les âmes qui se connectent aussi. Saint Paul décrivait cette union dans sa lettre aux chrétiens de Corinthe : « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ? Et j’irais prendre les membres du Christ pour en faire des membres de prostituée ! Jamais de la vie ! Ou bien ne savez-vous pas que celui qui s’unit à la prostituée n’est avec elle qu’un seul corps ? ( 1 Co 6,15-16).
À l’heure actuelle, la pornographie agit comme une épidémie qui rend malade les relations des hommes et des femmes. Véritable addiction dont il s’avère fort difficile d’en sortir. Ceux et celles qui se découvrent porno-dépendants restent enchaînés aux images qui s’impriment dans leur cerveau et leur mémoire, ineffaçables. Les scènes pornographiques agissent à la manière des marqueurs indélébiles. Ces images obscènes resurgissent à n’importe quel moment même lors de la prière. En ce qui concerne les enfants, la violence des images est comparée par certains psychologues et thérapeutes à un viol, à tel point que ces représentations fabriquées dans un contexte d’exploitation économique et de domination portent atteinte à la liberté.
La pornographie fausse et appauvrit les relations sentimentales et sexuelles, les vidant de leur contenu amoureux, ce qui entraîne frustration et colère. La puissance des images fait que l’on devient ce que l’on regarde. L’apprentissage se faisant souvent par mimétisme, la pornographie formate l’imaginaire et le comportement.
La foi chrétienne propose une ligne de crête au-dessus de l’angélisme et du rejet du plaisir. Religion qui met en valeur le corps par l’Incarnation du Fils de Dieu, Jésus le Christ, le christianisme protège le diamant de l’amour conjugal dans l’écrin de l’alliance du Christ et de l’Église, dans l’exclusivité du don total et réciproque, porteur de la vie qui peut grandir tout au long de l’existence.
Dieu ne fait pas dans le quantitatif mais dans le qualitatif. Il aime ce qui est petit et qui se déploie de manière lente et naturelle à l’image du grain de blé semé en terre qui porte du fruit.
C’est le soupçon envers Dieu introduit par le serpent dans les esprits d’Adam et d’Ève qui cassera leur harmonie. Ils ont voulu être dieu sans Dieu. Péché d’orgueil, de démesure et d’indépendance. Créés intelligents et libres, l’homme et la femme étaient autonomes, capables de gérer leur existence, mais non indépendants. L’amour rend dépendant non pas à la façon d’un esclavage mais à l’image d’une source de vie qui jaillit et s’offre gratuitement. Le mystère de la vie humaine repose sur le don. La vie a été donnée. Chaque être humain a pu survivre et grandir grâce à l’accueil d’autres personnes. La dépendance à l’égard de Dieu rend libre, libre pour aimer. Ce serait se faire illusion que de penser que la liberté se trouverait dans l’absence de liens et d’engagements. C’est dans l’engagement historique de chaque conjoint qu’ils se découvrent et qu’ils construisent leur amour et non de manière abstraite et à l’avance. L’engagement accorde la connaissance de l’autre et de soi-même. Dieu ne se donne qu’à ceux qui perdent pied dans la foi en lui. Les époux ne se donnent et ne se connaissent qu’en perdant pied pour aimer l’autre.
Dans le sacrement du mariage, l’Esprit Saint, le don du Père, est répandu sur les époux. C’est bien l’Esprit Saint qui unit les époux et s’engage dans le sacrement ; aussi est-il indissoluble parce qu’ayant Dieu comme partenaire de l’alliance conjugale. L’Esprit Saint n’est pas une tierce personne pour l’amour des deux conjoints, il ne fait pas nombre avec eux ; tout au contraire Dieu agit-il comme l’origine, la force et le but de l’amour conjugal.
Cet engagement de l’Esprit Saint rassure les époux qui redoutent l’infidélité et l’usure.
Habité par le Christ, le chrétien devient un message de Dieu, une lettre envoyée par Dieu. Dans le mariage, l’époux représente une lettre de Dieu adressée à l’épouse et vice-versa : « Vous êtes manifestement une lettre du Christ remise à nos soins, écrite non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs » (2 Cor 3, 3).
Dès les premières pages de la Bible, Dieu révèle que la femme a été le merveilleux de Dieu à l’homme qui s’est exclamé, ému et surpris, en prenant la parole pour la première fois dans le récit de la création : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23). En la femme, l’homme se redécouvre lui-même comme dans un miroir tout en constatant l’altérité de la femme qui est différente de lui. L’homme se donne à sa femme et il se reçoit d’elle. Il ne s’agit pas de l’amour du même mais de l’amour du semblable et du différent à la fois. Désormais, l’homme verra la création à travers la femme que Dieu lui a donné. Dante (+1321) dans la Divine Comédie dit : « Je regardais Béatrice et Béatrice regardait Dieu ». Il voyait Dieu à travers Béatrice et grâce à elle. C’était bien le dessein premier de Dieu pour le couple avant la chute dans le soupçon inoculé par le serpent. À ce moment-là, par le péché, en opposition à la volonté de Dieu, la femme détourne l’homme de son Créateur au lieu de l’y conduire.
C’est ainsi que le corps humain dit le projet de Dieu pour l’homme, créé par amour pour grandir dans l’amour.
Saint Augustin s’était un jour exclamé : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité (Vides Trinitatem si caritatem vides). Je t'amènerai, si je le puis, à te faire voir ce que tu vois ». L’amour du couple resplendit dans sa beauté comme l’icône de la Trinité sainte, « petite église », maquette de la communion ecclésiale qui ne fait qu’un avec Dieu. Saint Paul appliquera les paroles de la Genèse à l’amour du Christ et de l’Église : « Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair : ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église » (Eph 5,31-32). Dans le sacrement du mariage, les époux manifestent l’amour du Christ pour son Église et ils en vivent.
Amour rime avec fécondité. L’amour porte toujours du fruit. Chaque conjoint rayonne par la présence de l’autre en lui. Il y a la fertilité de l’enfant qui arrive au monde par l’union des parents. Il y a aussi la vie donnée dans le quotidien du couple, du travail et des relations sociales. Chaque conjoint porte en lui la force de l’amour de son partenaire. Il arrive souvent que des amis proches en découvrant une allégresse lumineuse sur le visage de l’ami/e et un élan nouveau déclarent : « Tu es amoureux/amoureuse, ne me dis pas que non ! ». L’amour caché se manifeste dans la joie de vivre. Ce n’est pas sans raison que l’amour est considéré comme le bonheur de l’existence et son sommet.
Un saint prêtre à Marseille, le père Jean Arnaud, aimait à prêcher que « l’Esprit Saint rend les jeunes filles belles ». L’amour embellit car il est démarche artistique sur soi et sur l’autre. Qui dit art dit travail et compétence. Aimer, c’est un art, un travail, qui exige l’endurance et la confiance pour écouter, dialoguer et pardonner. L’amour ne donne pas nécessairement la connaissance de l’autre ; il s’avère nécessaire d’expliciter les raisons des comportements et le sens des paroles sous peine de tomber dans des contresens. « Dans la solitude j’ai vu clairement des choses qui étaient fausses », avouait le poète castillan Antonio Machado.
Lors des malentendus et des doutes dans le couple, il est bon de prendre des décisions de communication comme s’il s’agissait du dernier jour de l’existence ; si l’on devait mourir ce soir, qu’est-ce qu’il faudrait dire au conjoint ? Dans toute relation il y a des non-dits et des blessures cachées. Par leurs paroles ou par leurs gestes, les autres touchent des blessures de notre histoire, de notre enfant intérieur, qui réagit, ému, et parfois sa colère retenue comme une bombe à retardement explose.
Le rythme de la vie s’est accéléré. Les médias déversent un déluge de messages chaque jour. L’existence peut ressembler à une fuite en avant où la personne avance comme le nageur sur une vague qui l’emporte. Comment parvenir à une vie équilibrée dans le chaos quotidien ? Un grand besoin de calme et d’écoute se fait ressentir au plus profond des cœurs pour échapper au vide et aux tourbillons. La communication dans la prière vient libérer les conjoints du sentiment de subir la vie plutôt que de la savourer et de la diriger. Dans la prière commune, partagée, chacun parle à Dieu de l’autre et à l’autre de Dieu. Ensemble, ils reconnaissent leur pauvreté et leur vulnérabilité, le besoin du Christ et la nécessité de l’autre et des autres. La Parole de Dieu partagée purifie et elle agit comme un ciment au service de la construction du couple. Se tourner vers Dieu équivaut à se rapprocher de l’autre. Se détourner de Dieu c’est aussi s’éloigner de l’autre. Dieu rapproche toujours dans la paix. Le diable, le dia-bolos, est comme son étymologie l’indique, le diviseur qui oppose.
Parmi les prières, le couple peut choisir de renouveler les promesses de l’échange des consentements au jour de leur mariage, en relevant ce qui va bien plutôt que ce qui fait obstacle : « Ce qui unit dépasse ce qui divise ». Loin d’être une drogue douce, la prière met sur le chemin du regard pénétrant, du discernement et de la transformation : « Chacun de nous naît par son propre choix … et nous sommes en quelque sorte nos propres pères, parce que nous nous enfantons nous-mêmes, tels que nous le voulons » (Saint Grégoire de Nysse, Vita Moysis, P.G. XLIV, 327b).
L’homme et la femme s’entraident ainsi en bons compagnons de route, compagnons d’éternité.
Saint-Denis (La Réunion), le 17 janvier 2024.
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