L’hospitalité dans le juste service
« Soyez le bienvenu, mais donnez-vous la peine d’entrer, ma demeure est la vôtre ! » Voilà une bien belle façon d’accueillir un hôte chez soi, en ouvrant large sa porte et son âme pour le laisser entrer afin de pouvoir lui prodiguer des soins et de l’attention. Voilà probablement ce que la bonne Marthe a dû dire, selon les coutumes de son temps et de son pays, à Jésus passant devant sa porte à Béthanie. Jésus, comme à son habitude, entre…Jésus cherche toujours à entrer, il veut toujours se faire inviter, il passe même son temps dans l’évangile à être inviter chez les autres : « Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3.20). Jésus passe, frappe et espère bien entrer.
Marthe ouvre sa porte et fait entrer ce voyageur chez elle. Seulement, elle n’est pas seule en sa demeure, Marie y est aussi. Et les deux sœurs s’approchent et s’éloignent tour à tour de Jésus dans ces quelques versets. C’est Marthe qui est mentionnée en première. Elle sort (au moins sur le palier) de chez elle, entendez : elle sort d’elle-même, pour faire entrer Jésus. Elle s’approche de Jésus, puis une fois entré, elle s’en éloigne. Puis Marie, restée dedans, s’approche à son tour de l’hôte pour ne plus le quitter ensuite, à la place du parfait disciple : assis au pied de son maître à l’écouter.
Revenons sur cet éloignement de Marthe. J’utilise le terme « éloigné » exprès parce que c’est le sens littéral du verbe grec que nous traduisons par « accaparer ». Le verbe signifie d’abord « être tirer », même « traîner ailleurs ». Marthe est entraînée ailleurs qu’à l’endroit où elle devrait être. Par quoi est-elle tirée et retenue ? Par le service…Il y aurait donc un service qui éloigne du Christ ? Car c’est bien ce qui se passe dans cette maison de Béthanie, Marthe est loin de Jésus et Marie est proche de lui. Ce service qui éloigne du Christ, les apôtres en ont fait l’expérience, le chapitre six des Actes des Apôtres nous fait part de leur réflexion : « Il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu, pour servir aux tables ». Et après avoir nommé des aides, ils ajoutent : « nous seront assidus à la prière et au service de la parole ».
Il y a donc deux services (c’est le même mot dans les deux cas) : celui de la table et celui de la parole. Les deux sont-ils nécessaires : bien évidement ! Les deux se valent-ils : eh bien non ! Jésus établit bien une hiérarchie entre les deux, et les apôtres suivent cet enseignement dans le passage du livre des Actes évoqué : c’est Marie qui a choisi la meilleure part, dit Jésus, et elle ne lui sera pas enlevée. Marie est bien là où l’hôte doit être, car comment servir la Parole ? (Puisque nous avons vu qu’il existe un service de la parole distinct de celui de la table) Et bien en l’écoutant, car « l’idéal du sage, c’est une oreille qui l’écoute » dit le Siracide (3. 28).
Il s’agit bien d’être à la bonne place au bon moment, de ne pas se dépenser pour ce qui n’en vaut pas vraiment la peine au moment inopportun. Mais cela ne s’applique pas uniquement à la séparation entre les affaires matérielles et spirituelles. Ce serait une lecture trop rapide de voir en Marthe uniquement la dimension matérielle de notre vie et en Marie uniquement sa dimension spirituelle. Nous pouvons êtres des Marthe dans notre vie purement spirituelle. Par exemple : terminer son deuxième chapelet de la journée en « mode rafale », et ne pas avoir pris une minute pour méditer un mystère du Rosaire. Ou enchaîner les prières de guérison d’un super livre de je ne sais quel prédicateur à la mode, et ne pas avoir pris le temps de lire et vivre une ligne de l’évangile…
Tout cela est louable, mais c’est parfois gaspiller son temps et son énergie. Imaginons Jésus invité en notre âme, tout comme chez Marthe. Il est passé, nous avons ouvert la porte. Le voilà paisiblement installé dans le salon de notre cœur, et nous gesticulons dans tous les sens entrant et sortant de la pièce en trottinant, en parlant tout seul à voix haute, pendant que lui attend, en souriant, que l’on veuille bien lui adresser la parole, mais surtout l’écouter…Et lorsque la Parole de Dieu parle, c’est bien pour être entendu : « Ecoute ma fille, regarde et tends l’oreille » dit le Psaume 44.
Jésus veut-il faire de nous tous des moines et des moniales ? Dénigre-t-il le soin des choses matérielles ? Pas tellement…Il met simplement en garde contre un risque d’être éloigné de lui par des soucis qui n‘en sont pas vraiment…Et pour cela notre père Abraham est un bon exemple. Dans le fameux passage de l’hospitalité du chêne de Membré, regardons comment les personnages sont disposés les uns par rapport aux autres. En premier lieu les trois hôtes de passages (les anges), « sont prêts » d’Abraham dit le texte. Puis le vieux patriarche les invite, fait les préparatifs, et rejoint ses hôtes pour être à son tour « prêt d’eux » comme le précise le texte.
Nous sommes donc inviter à faire de même : inviter, préparer, et s’approcher. Un temps pour chaque étape, mais qu’aucune ne déborde sur l’autre, car la plus importante des trois, c’est bien la dernière. Rien ne dit dans le texte de l’évangile, que Marie n’a pas donnée un coup de main avant l’arrivée de Jésus, sa sœur lui reproche de ne pas l’aider pendant la présence de Jésus, et c’est à ce moment que Jésus dit que Marie est là où elle doit être.
L’hospitalité du Christ, que nous nous apprêtons à vivre dans l’eucharistie, nous place dans la même situation qu’Abraham et Sarah ou la petite maisonnée de Marthe et Marie, où serons-nous lorsque Jésus sera là ? Prêt de lui en partageant le festin de noces de l’Agneau, ou ailleurs, tiré et retenu par milles préoccupations ? « Mon Dieu si vous êtes partout, pourquoi suis-je ailleurs ? » Tout est prêt, bienvenu Jésus, donne toi la peine d’entrer, ma demeure est la tienne.
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